Iran : La semaine en images n°136 27.09.2010 Depuis trois mois, le régime a collectionné les gadins car il n’a pas réussi une seule fois à mobiliser un de ses alliés populaires à savoir la milice, le bazar ou le clergé lors de ses diverses manifestations officielles. Ce boycott est le résultat des sanctions car les mollahs refusent d’envisager un apaisement avec Washington car cela les obligerait à partager le pouvoir avec des pions de Washington à travers un processus de révolution de velours. Le peuple voit qu’il est en train d’être sacrifié sur l’autel des intérêts personnels des dirigeants. La semaine dernière, la tension est montée encore d’un cran car le régime devait commémorer le mercredi 22 septembre, le trentième anniversaire de la guerre Iran-Irak, une guerre qui a ruiné le pays et fait plus d’1 million de morts car les mollahs avaient refusé tout compromis. Par ailleurs, le lendemain de cette date pénible, le régime devait selon la tradition célébrer la rentrée des classes alors que la hausse vertigineuse des prix de fournitures scolaires a forcé près de 30% des parents à renoncer à inscrire leurs enfants. Il y avait un cumul de ressentiments négatifs vis-à-vis du régime. Se sentant très menacé, ce dernier a annoncé sa disposition à négocier avec les Six, mais dans le même temps, il a tenu des propos très insultants vis-à-vis des Américains afin que ces négociations ne soient en aucune façon une étape vers un apaisement avec Washington. Les Américains qui ont toujours sanctionné les mollahs pour les amener à accepter cet apaisement ont été interloqués et n’ont pas sauté de joie sur l’offre de négociations qui ne leur sert à rien. Content de cette trouvaille, le régime ne cesse de répéter son envie de dialogue tout en titillant Washington sur les sujets qui fâchent. C’est une évolution intéressante, c’est pourquoi nous vous proposons un rappel de ces stratégies défectueuses avant d’exposer les images de la semaine pour finir sur une conclusion décoiffante suggérée par ces mêmes images. On peut dire que Téhéran a enfin agi avec méthode faisant la synthèse de six ans de stratégies au coup par coup qu’il a sans cesse repris avec assiduité sans aucune réussite. Rappelons que les Américains qui ont besoin d’avoir une république islamique à leur botte, c’est-à-dire dirigés par leurs pions, ont eux agi méthodiquement en réduisant lentement mais sûrement les revenus en devises de ce régime à l’économie toute étatisée. Il allait mettre les mollahs en situation d’incapacité de pourvoir aux besoins du peuple, pour qu’ils retrouvent en état de pénurie avec des risques de soulèvement afin que la peur d’une chute sanglante les pousse à accepter de partager le pouvoir pour finir moins mal et peut-être même garder une part du pouvoir en raison des réseaux qu’ils possèdent sans lesquels on ne peut diriger un pays. solution 1 (2003-2005) | Les mollahs ont compris le jeu, mais en raison de leur origine d’ex-Bazaris, ils ont privilégié une solution de commerçant ripoux. Ce premier choix a été de marchander, puis d’accepter sous Khatami avant de remettre en cause l’entente par son successeur, Ahmadinejad qui a dénoncé le contenu anti-iranien de l’accord. (solution 1 : remise en cause des accords par un tiers) solution 2 (2005- ...) | La tactique de la remise en cause est alors devenue une stratégie en elle-même : celle qui consiste à tenir des propos choquants pour engager la partie adverse dans une escalade afin de le faire reculer par peur d’une guerre susceptible de perturber son approvisionnement pétrolier. (solution 2 : amplification délibérée de la crise) dérapage 1 (2006) | On peut dire que le régime a perdu le fil conducteur car cette stratégie, basée sur des provocations, est devenue l’axe de sa diplomatie. Les Américains ont très vite compris qu’il fallait esquiver ces provocations pour les neutraliser. Cet échec a mis en cause la capacité de nuisance régionale du régime. Par un effet de surenchère, il a été amené à engager le Hezbollah puis le Hamas dans deux guerres destructrices surtout pour ses deux milices et sa propre réputation de caïd régional capable de provoquer une guerre mondiale. dérapage 2 + solution 3 (2006-2007) | Le régime a oublié qu’il devait en finir rapidement avec les sanctions. En s’obstinant à poursuivre cette stratégie, il a subi les effets de ces sanctions. Il a alors joué sa première stratégie à l’envers en affirmant que les modérés pouvaient revenir pour remettre en cause l’approche dure d’Ahmadinejad en demandant un gel des sanctions pour ne pas pénaliser leur retour. (solution 3 : promesse d’un retour des modérés) solution 4 (2007) | Quand l’Occident a demandé des garanties, les mollahs ont remplacé les modérés logiquement disposés à un compromis par un nouveau courant : les conservateurs modérés. Ils étaient menés par Larijani, un des 22 membres permanents du Conseil de Discernement, organe plénipotentiaire qui décide toutes les politiques du régime dans tous les domaines. On est ainsi passé à la solution 4 de promesse d’un demi apaisement. Cette approche a été abandonnée et le régime a tout misé sur Ahmadinejad et ses provocations (solution 1) car Larijani voulait prendre le pouvoir au sein du régime au détriment de Rafsandjani, l’actuel patron du Conseil de Discernement et donc du régime. Mais finalement, le régime a restauré les promesses d’un demi apaisement pour obtenir un gel des sanctions avec la candidature de Moussavi qui se présentait comme un modéré conservateur ! erreur 1 + solution 5 (2007- ...) | Le régime n’a pas obtenu la pause qu’il recherchait et étant sanctionné, il était de plus en plus pauvre. Pour continuer son refus d’apaisement avec moins de revenus, il a supprimé les aides alimentaires gratuites pour réduire ses dépenses. Puis il a annoncé la suppression prochaine des prix subventionnés en attendant de trouver une solution politique à son problème. (solution 5 : le plan de rigueur) solution 6 (2008 - fin de mandat de Bush) | Ce plan de rigueur lui a fait perdre le soutien de la base surtout des jeunes engagés dans la milice poussés par la pauvreté et non par conviction. Constatant une baisse importante de participation à ses manifestations, il a tenté de neutraliser les sanctions en alternant les provocations avec le dialogue, un avant-goût de son demi-apaisement ! Mais Washington a accepté toutes les offres de dialogue faites par Téhéran et a neutralisé ses poussées de provocations par le sourire d’Obama, une politique d’esquive, la minimisation de la capacité militaire iranienne et même une censure pure et simple des provocations. solution 7 (2009) | Puisqu’il ne pouvait pas provoquer une escalade, le régime est revenu à la promesse du retour des modérés. Les Américains ont montré qu’ils ne se laisseraient pas berner. Le régime a alors trouvé la solution folle de mettre en scène une révolution de couleur autour de Moussavi, candidat modéré en faveur d’un retour aux principes fondateurs de la révolution islamique, c’est-à-dire le rejet de tout apaisement avec les Etats-Unis. Il entendait placer Moussavi dans le rôle du contre-pouvoir plébiscité par la rue et pouvoir remettre en cause un compromis cédé par le président en fonction, Ahmadinejad. erreur 2 (été 2009) | Cette révolution de couleur, la Vague Verte, qui devait être la 7ème et dernière solution du régime, n’a pas fonctionné comme il fallait : le peuple en colère qui devait être utilisé comme figurants de cette révolution d’opérette n’a pas scandé Vive Moussavi, il a crié Mort à la République Islamique. Ses jeunes miliciens en charge à la sécurité intérieure ne sont pas intervenus. erreur 3 (fin 2009- début 2010) | Washington a alors eu peur que le régime islamique dont il a besoin ne tombe. Il l’a laissé mater le soulèvement anti-islamique avant d’alléger ses sanctions pour aider le régime à apaiser la colère populaire. Le peuple s’est retiré de la rue en décidant de boycotter Moussavi. Le régime aurait pu changer de solution, mais il s’est obstiné. Etant sûr qu’il n’allait pas accepter un partage de pouvoir, il a continué son plan de rigueur, mais aussi ses provocation et a essayé toutes sortes de ruses pour faire descendre les gens dans la rue en faveur de Moussavi ! Récapitulons :
solution 8 / erreurs 4, 5, … (été 2010) | Washington, qui veut une entente et non le conflit, a lancé sa propre Vague Verte pour un exercice commun du pouvoir, une porte de sortie de cette foule de solutions qui mènent nulle part. Pour ne pas partager le pouvoir, le régime a poussé le Bazar à la grève pour donner l’impression d’une situation pré-révolutionnaire afin que les Iraniens soient assurés que la fin du régime était proche et qu’ils sortent ! Le Bazar qui a été ruiné par les sanctions et le plan de rigueur a profité de l’occasion pour continuer la grève pendant 20 jours. Le pays était en situation pré-révolutionnaire : le régime a abandonné l’idée de pousser les Iraniens à se révolter pour aider Moussavi. Il s’est lancé dans des provocations technicolors avec la menace de couler les pétroliers américains. Les Américains ont esquivé. Il a annoncé des manœuvres maritimes géantes qui n’ont pas eu lieu car à la veille du Ramadan, craignant une révolte chez les affamés, il a changé de ligne pour se montrer favorable à un apaisement afin de récupérer le Bazar et les miliciens. solutions de rattrapage | Durant un mois, les dirigeants richissimes ont fait profils bas notamment en changeant la doctrine militaire du régime qui est officiellement devenue défensive. Mais cela n’a pas marché non plus : personne ne s’est déplacé pour la journée de Qods qui doit être la vitrine du soutien au Hezbollah. Etant désormais seul en cas de soulèvement, il s’est lancé dans des provocations pour en finir avec les sanctions, mais il a aussi rétabli les aides alimentaires gratuites pour récupérer sa base. Une semaine plus tard, le peuple a boycotté plus fortement la fête de fin du Ramadan, puis lancé un appel pour manifester contre le projet de l’immolation du Coran. sa dernière solution (un coup de chance) | Le régime a encore eu peur et comme à chaque fois dans ce cas il est revenu à une politique de provocation, mais puisque l’Etat américain esquivait ses provocations ou les censurer, il a annoncé un apaisement pour qu’on lui accorde une tribune. Le Qatar s’en est chargé. Invité sur place, Ahmadinejad s’est adressé aux Arabes pour affirmer que les Américains avaient organisé l’attentat du 11 septembre pour attaquer les musulmans. Cela n’a pas fonctionné car les médias Arabes n’ont pas relayé en boucle le message. Le régime a alors innové en s’adressant directement à l’opinion américaine avec la libération mouvementée de Sarah Shourd. Cela a indigné les citoyens américains. Pour la première fois, une affaire utilisée pour faire provoquer une crise a eu une importante médiatisation. Cela a ravi les mollahs. L’attitude gênée de Washington était un bon point pour les mollahs, mais le point le plus intéressant a été l’insistance de Washington sur le caractère bienveillant du régime et l’annonce de la disposition américaine pour continuer le dialogue. Les mollahs ont compris que Washington cherchait à améliorer leur image pour ne pas nuire à l’entente. Le régime a alors mis de côté sa tactique inefficace de provocation d’une escalade guerrière pour privilégier l’auto diabolisation afin de rendre impossible une entente. L’intérêt de l’affaire était qu’il ne devait pas aligner de troupes (dont il ne dispose pas) pour provoquer militairement Washington, il lui fallait juste être odieux et blesser l’opinion américaine. Logiquement, les Américains devaient alors abandonner tout le projet de l’entente forcée, donc les sanctions qui vont avec, pour accepter le régime tel qu’il est. Ce dernier allait restaurer son autorité et récupérer facilement sa base populaire, la milice ou le Bazar et le respect régional ! Aussitôt après l’épisode Sarah Shourd, Téhéran ne s’est pas lancé dans cette nouvelle aventure car il existe un risque que Washington décide alors de renverser le régime. Cette semaine, le régime est allé au-delà de cette peur pour trois raisons : raison 1 | Le 22 septembre, le régime devait organiser le défilé de toutes ses forces armées à l’occasion de la commémoration du début de la guerre Iran-Irak, un conflit sanglant provoqué par Khomeiny et continué par tous les responsables de l’époque notamment Rafsandjani pour s’enrichir grâce aux commissions d’achat d’armes. Des centaines de milliers de jeunes miliciens volontaires (comme ceux que l’on voit sur ces images d’archives) y ont été tués sans se douter qu’ils mourraient pour enrichir quelques mollahs et leurs clans. Après le boycott de la Journée de Qods par ses miliciens, le régime s’attendait à un autre boycott plus fort pendant cette journée.
motif 3 | Le régime avait à sa disposition une tribune de choix : celle de l’assemblée générale de l’ONU ! Pour un effet maximum, le régime devait surprendre l’adversaire afin qu’il n’ait pas le temps de préparer son esquive. Pour cela, le régime est devenu tout doux ! La première étape a été de se dire ouvert pour la reprise du dialogue. Après l’avoir répété à maintes reprises, le régime a invité en Iran l’Italien Romano Prodi qui joue volontiers les médiateurs.
Pour masquer cette incapacité, le régime aurait voulu diffuser des images de parents heureux faisant des achats pour des enfants heureux, mais le regard ne triche pas. On imagine bien la grogne sociale. opérations de séduction et de manipulation | Sur ce fond de malaise, le régime allait affronter son premier test : la commémoration d’une guerre qui a endeuillé tous les Iraniens. A la veille de cette journée à risques, le régime a tenté des opérations de séduction dans tous les directions. opération de séduction interne 1 & 2 | Le plus grand profiteur de cette guerre, Rafsandjani a reçu les familles des prisonniers politiques. Il s’agit de faux opposants qui font partie du régime et non des vrais opposants anti-régime. Mais cela n’avait pas d’importance car le propos n’était pas de parler de ces gens : il s’agissait de mettre en avant la bonté de Rafsandjani. Ce dernier a aussi inauguré une nouvelle université alors que 200,000 places sont vides dans les universités qu’il dirige !
Opération de manipulation internationale 2 | Le représentant du régime a été parfait. En attendant son heure, il a reçu ses alliés et accordé des conférences dont le clou du spectacle a été d’annoncer que la république islamique pouvait envisager le dialogue, si Washington cessait de mal se comporter vis-à-vis de l’Iran. Comme par enchantement, quelques heures plus tard, le régime a annoncé l’explosion d’une bombe parmi la foule des femmes et des enfants venus assister au défilé militaire dans une ville du Kurdistan iranien. Dans la foulée, le régime a accusé Washington s’offrant ainsi une raison pour faire état de l’incorrigibilité de son adversaire afin d’avoir aussi une raison de rejeter son offre d’apaisement au cas où Washington esquiverait sa provocation du prochain discours d’Ahmadinejad. Les images du site de l’attentat sont bizarres car il y a un peu de sang par terre pour 12 morts et 75 blessés. Les images des obsèques qui ont eu lieu ce vendredi sont plus bizarres : il y a 3 cercueils : le régime semble avoir oublié le nombre des morts ! L’attentat pourrait être un faux.
Jeudi 23 septembre 2010 : pour qui sonne le glas ? | Ahmadinejad a bien endormi son adversaire avec sa mollesse lors des deux premiers jours de son séjour. Obama, qui, grâce à ces prestations effacées croyait avoir vaincu Ahmadinejad, a parlé le premier à la tribune de l’ONU en évoquant l’ouverture des Etats-Unis pour un dialogue afin de marquer sa victoire. Ses espoirs sont partis en fumée après les premiers mots d’Ahmadinejad. C’est à ce moment que l’on est entré dans la partie intéressante de l’info de cette semaine avec le coup pendable des mollahs et la réaction que cela allait susciter. En guise de protestation, la délégation américaine et celles de nombreux alliés de ce pays ont quitté la salle. Le régime détenait là une victoire par abandon de l’adversaire. Au lieu de crier victoire en signalant la fuite de ses adversaires, le régime a dissimulé le fait dans ses actualités et a tenté de masquer ces départs avec des photos prises de manière à dissimuler les sièges vides (les deux premières photos ci-dessous) car ces sièges vides étaient synonymes d’un plus grand isolement du pays, ce que lui reprochent des millions d’Iraniens qui boycottent le régime. On peut donc dire que Téhéran a sonné le glas de l’entente souhaitée par Washington, mais il a en même temps sonné le glas d’une réconciliation avec les forces qui ont rompu avec lui.
Vendredi 24 septembre 2010 : la fuite en avant | A New York, après le sale tour joué aux Américains, ces derniers ont annulé la conférence de presse prévue pour évoquer la capitulation attendue d’Ahmadinejad. Ce dernier a organisé une conférence par ses propres moyens pour insister sur l’ouverture de Téhéran à un dialogue et pour mieux mettre la pression aux Américains qui ne veulent plus d’un dialogue car cela est sans contrepartie pour eux, Ahmadinejad a ajouté que son pays était même disposé à abandonner l’enrichissement (à 20%) pour forcer Washington à s’engager dans ce dialogue sans contrepartie.
Logiquement, il devait être accueilli en héros du moins par les députés de son camp. Mais il n’y avait personne à l’aéroport ! Le régime, qui dispose d’un fond d’une cinquantaine de figurants à Téhéran, ne les a pas sortis pour simuler un bain de foule. Ahmadinejad a eu droit à un accueil confidentiel. Le dévoué soldat Mahmoud a même été critiqué pour le ton employé à NY et non sur le fond de ses propos. Or, pour une fois, le ton était calme et loin de tout ricanement. Le fait est donc que le régime veut mettre en scène son président comme un homme controversé et critiqué dans son camp. Pourquoi ? Parce qu’en réponse à cette ruse visant à le priver d’une entente, Washington a mis en avant sa volonté d’aider le peuple à se défaire du régime. Il a changé la qualité et la puissance de la menace. Le Bazar a été très réactif, il s’est mis en grève pour prendre au mot le président américain qui manque de sincérité dans ce genre de promesse. Il n’a d’ailleurs pas adressé de message de soutien à ces grévistes. Même sans ce soutien auquel personne ne croit plus, le régime se retrouvait dans une situation pré-révolutionnaire. Il a agi en conformité avec sa tradition dans la gestion des crises dans ce genre de cas : il a joué la prudence en sortant la carte de la promesse d’un retour des modérés. Adieu donc le super plan pour déstabiliser Washington. Grâce à une petite grève sauvage, le régime a dû stopper la marche en avant du héros vainqueur en montrant Ahmadinejad comme un homme isolé qui ne suscite aucun plébiscite, même dans son camp en attendant de trouver comment bricoler de nouvelles solutions pour les nouvelles crises qui l’attendent. Retour à la normale.
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