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Iran : La livraison de Bouchehr a rompu les équilibres
14.08.2010

Téhéran et Moscou ont annoncé le début du chargement du combustible nucléaire dans le réacteur de la centrale de Bouchehr (ci-dessous). Washington a exprimé son inquiétude. En fait cela n’a rien à voir avec la « menace nucléaire iranienne » car Bouchehr ne peut produire que de l’électricité. Washington s’insurge car cet équipement peut contrecarrer ses projets de sanctions pour isoler les mollahs.



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Brève histoire de Bouchehr | Les travaux de la centrale de Bouchehr ont commencé en 1974 (avant la révolution islamique). Les travaux ont été confiés à la société allemande Kraftwerk-Union, un joint-venture de Siemens et AEG-Telefunken. Cette société s’était retirée au moment de la révolution islamique de 1979. La centrale a été endommagée pendant la guerre Iran-Irak. En 1995, les mollahs ont demandé à la Russie de reprendre et finir les travaux. Cette dernière s’était alors engagée à le livrer en état de fonctionnement le 8 juillet 1999. Mais la date de livraison a été retardée car les Russes ne pouvaient pas obtenir les pièces détachées pour le réacteur allemand notamment en raison de l’opposition des Etats-Unis. En 2001, Moscou a proposé aux mollahs d’équiper la centrale avec des réacteurs russes. Le délai a été rallongé ainsi que le budget (on estime que Téhéran a dépensé entre 6 et 8 milliards de dollars dans les divers projets pour l’achèvement de Bouchehr). Cette version russe devait être livrée fin 2007. Moscou allait renforcer sa présence en Iran.

Les enjeux de Bouchehr | Mais au cours de l’année 2006, Moscou a appris que les mollahs, qui étaient ouvertement fermés à tout dialogue avec les Américains, étaient en fait en négociations secrètes avec ces derniers pour parvenir à une entente. Cette entente a pour objet l’Asie Centrale actuellement contrôlée par la Chine et la Russie. Moscou a réalisé que les provocations de Téhéran n’étaient pas de l’hostilité pure vis-à-vis des Etats-Unis, mais un moyen pour faire monter les enchères. Moscou a réalisé que les mollahs l’utilisaient comme un bouclier anti-sanctions ou anti-frappes. Moscou a également réalisé que les mollahs pourraient être encore plus libres dans leurs manoeuvres s’il leur livrait le système de DCA S-300 et la Centrale de Bouchehr car le premier leur donnait une immunité contre toute frappe et la seconde un alibi pour leur programme d’enrichissement.

Moscou a décidé de punir les mollahs traîtres en suspendant la livraison des S-300 et en retardant sans cesse la livraison de Bouchehr pour des motifs les plus fantaisistes. Privé de ces atouts, Téhéran est resté dépendant de la Russie. Cette dernière a alors joué un rôle actif de protecteur dans la crise iranienne et dans ce rôle, il s’est opposé à l’adoption de sanctions contre les mollahs afin d’empêcher Washington de les affaiblir pour les soumettre. Les Russes ont pu empêcher les sanctions onusiennes, mais pas les sanctions américaines. Dernièrement, ils ont réalisé qu’ils avaient en fait permis à Washington d’être seuls maîtres à bord. Les Russes ont réalisé qu’ils aidaient Washington à mener sa guerre d’usure économique pour affaiblir les mollahs afin de les forcer à devenir ses alliés. En continuant, ils préparaient le terrain à leur propre perte.

Les Russes ont alors surpris tout le monde en adoptant leurs premières sanctions unilatérales contre les mollahs en rompant les contrats pétroliers de Lukoil, mais aussi en cessant la livraison d’essence de Lukoil. L’essence est nécessaire pour les transports (donc l’approvisionnement de tous les marchés intérieurs), mais aussi indispensable pour faire fonctionner les centrales thermiques iraniennes pour produire de l’électricité. La pénurie de l’essence est vue comme l’arrêt de mort du régime. Cette décision russe est tombée quelques jours après que les Britanniques (potentiels grands perdants d’une entente irano-américaine) avaient aussi cessé leur livraison d’essence, privant les mollahs de 75% de l’essence consommée en Iran. De fait, on peut dire que Moscou ne cherchait pas à revenir dans le jeu pour avoir un avantage sur les Américains, mais qu’il a pu envisager la chute du régime dans le sens de ses intérêts régionaux.

Mais cette chute envisagée par Moscou et Londres n’a pas eu lieu car d’une part, les mollahs ont réduit leur consommation d’essence et aussi les activités industrielles et d’autre part, les Américains ont demandé à leurs vassaux régionaux, la Turquie et l’Irak, de prendre la place de ces fournisseurs disparus. En devenant indirectement le fournisseur d’essence, les Américains ont repris l’avantage dans le jeu : ils se sont donnés les moyens de faire plier Téhéran par une rupture soudaine des livraisons d’essence.

C’est ce qui arrive en ce moment : l’Irak a rompu ses livraisons (suite à un scandale un peu artificiel) et la Turquie vient de les baisser. Washington a aussi donné un coup d’accélérateur aux sanctions en demandant à ses alliés, l’Europe et le Japon, d’appliquer des sanctions en place mais jamais appliquées. C’est une situation d’urgence : Moscou a encore changé de politique iranienne en décidant d’introduire des barres de combustibles dans le coeur du réacteur pour aider les mollahs à disposer d’une certaine réserve d’électricité d’ici quelques mois pour ne pas tomber dans la gueule des Américains.

Cette annonce a mis le feu au poudre car elle mettait Washington, mais aussi Londres hors du coup. Les Britanniques qui sont souvent très bien informés et jouent un rôle trouble d’outsider tantôt pro et tantôt anti-américain ont révélé jeudi que depuis quelques temps Moscou avait repris ses livraisons d’essence vers l’Iran (10 millions de litres cette semaine) via la compagnie chinoise Zhuhai Zhenrong et LITASCO, une filiale genevoise de Lukoil pour permettre aux mollahs de renforcer leurs réserves pour parer à une éventuelle rupture des livraisons turques.

La livraison de Bouchehr a rompu les équilibres dans le jeu entre les grands pour l’Iran. C’est pourquoi Washington a protesté contre cette livraison. Moscou qui entend jouer en toute discrétion a démenti les livraisons d’essence par la direction de Lukoil. Washington qui prend tout cela très au sérieux ne s’est pas contenté de protester, il a dérouté en pleine mer un pétrolier libérien LIA rempli de 100 millions de litres de l’essence turque destinés aux mollahs.

La partie n’est qu’à ces débuts car après l’annonce de Bouchehr, Téhéran a fait savoir que le réacteur serait opérationnel dans 2 mois, autrement dit qu’il sera tiré d’affaire. Mais Moscou a fait savoir que le réacteur ne sera pas opérationnel car il lui faut 3 à 4 mois pour atteindre sa puissance minimale de 1%. Cela veut dire que Téhéran est toujours à la recherche d’immunité pour manoeuvrer et Moscou est encore dans l’obligation de jouer contre les mollahs en même temps qu’il joue contre les Américains.

Mais Moscou a précisé qu’il faudrait 6 à 7 mois au réacteur pour atteindre sa puissance maximale. Moscou dispose donc de ce délai pour contrer les efforts américains. Au-delà, il ne lui restera qu’un seul atout : livrer les S-300. Ce sera une très bonne chose car Washington devra alors oublier l’entente et à son tour envisager la chute de ce régime. C’est peut-être ce qui le fait râler : l’inévitable échec de son irréalisable projet d’entente avec les mollahs islamistes pour avaler l’Asie Centrale.


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Sur les relations Téhéran-Moscou :
- Iran : la Russie, le temps des incertitudes et des contradictions
- (20 Juillet 2010)

Sur les liens entre les Russes et les mollahs :
- Iran-Russie : à surveiller de près !
- (18 FÉVRIER 2010)

Sur l’urgence actuelle :
- Iran-EU : La guerre silencieuse
- (12 août 2010)

| Mots Clefs | Nucléaire : Equipements & Centrales |
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