Iran : Washington ne marche pas avec Londres 12.03.2010 Pour affaiblir la Chine, Washington doit se rendre maître des pays ou des régions qui lui fournissent actuellement du pétrole et du gaz : l’Iran, l’Asie Centrale et la région chinoise de Xinjiang habitée par les musulmans Ouïgours. Le succès de ce projet dépend d’une coopération ferme des mollahs pour refuser le pétrole iranien aux Chinois, désenclaver l’Asie Centrale et encadrer un soulèvement ouïgour. Les mollahs n’acceptent pas de coopérer car leur entente passerait par le démantèlement de leur soutien au Hamas et au Hezbollah, milices qui sont leur assurance vie. Washington se voit donc obligé de sanctionner les mollahs, mais il doit se garder de toute escalade car cela rendrait les mollahs encore plus infréquentables donc impropres pour une entente. Il affirme donc avoir du mal à mobiliser la communauté internationale. La Grande-Bretagne, dont les intérêts pétroliers souffriront de l’entente, a annoncé lundi l’arrêt de livraison d’essence de l’une de ses compagnies vers l’Iran pour contredire Washington et l’engager de force dans cette escalade qu’il veut et doit éviter. Washington a esquivé toute réaction officielle avant de riposter par un article sur l’impossibilité pour Obama d’adopter de nouvelles sanctions en citant le maintien de la coopération entre Shell et l’Iran. Mercredi, Londres a annoncé le retrait de Shell ! Cette fois Washington a encore esquivé sur le plan politique, mais il a riposté non pas par un seul article, mais par un gigantesque plan médiatique visant à contrer tous les sous-entendus du coup médiatique de Londres. les 3 priorités de Washington | Pour parvenir à une entente avec les mollahs, sous Bush, Washington avait donné la priorité à des sanctions ponctuelles très fortes. A l’époque, on parlait beaucoup d’un embargo sur les carburants car depuis la révolution islamique, l’Iran a perdu ses capacités de raffinages et importe près de 75% des divers carburants nécessaires pour les transports, mais aussi pour produire de l’électricité dans ses centrales thermiques. Mais dès août 2008, l’économie iranienne est entrée dans le rouge et la priorité a changé : il fallait éviter des sanctions plus fortes et surtout trouver un moyen pour éviter les sanctions promises aux citoyens Américains. En attendant de trouver la solution, il a commencé à annoncer des nouvelles sanctions, mais il s’agissait de sanctions déjà en place. La solution s’est imposée avec le changement de président : Obama a décrété un gel dans l’adoption de nouvelles sanctions pour l’année 2009 pour donner une chance à l’apaisement. Washington a ainsi évité de nouvelles mesures susceptibles de trop affaiblir les mollahs et les rendre vulnérables à un soulèvement populaire, tout en préservant les sanctions déjà en vigueur pour des pressions ponctuelles pour les forcer à se défaire de leurs milices ou à se démocratiser, une ruse pour permettre aux pions de Washington de participer aux élections pour prendre le pouvoir de l’intérieur. C’est pourquoi, ils ont sans cesse refusé l’apaisement empoisonné proposé par Obama tout en se comportant de la pire manière pour rendre toute entente impossible. Dans ce contexte, Washington s’est retrouvé avec deux nouvelles priorités complémentaires : éviter l’escalade, mais surtout améliorer l’image de son futur allié pour rendre possible l’entente.mécanismes d’application de cette ultime priorité | Pour éviter toute escalade, Washington a mis au point en avril 2009 une politique d’esquive des provocations balistiques ou nucléaires des mollahs. Les mollahs ont redoublé de provocations. Washington s’est découvert une passion pour des sanctions onusiennes à l’unanimité. Il s’est ainsi donné l’occasion de simuler des efforts diplomatiques en faveur des sanctions tout en les évitant. Et pour améliorer l’image de son futur allié et rendre une entente politiquement correcte le jour où les mollahs céderaient, il a intensifié son soutien aux « modérés ou dissidents du régime », faux opposants mis en orbite par le régime lui-même pour améliorer son image : des faux étudiants, des fausses féministes… Puisque cette année, Téhéran met en avant une fausse révolution de couleur du nom du Mouvement Vert, cet effort en faveur de l’image du régime s’est focalisé sur le Mouvement Vert. Cette semaine quand Londres a tenté de l’engager dans une escalade pour ruiner les chances de toute entente, Washington s’est replié sur ses deux priorités avec une série de mesures médiatiques pour éviter l’escalade et d’autres mesures pour améliorer l’image du régime qu’il convoite. TP anglaise | Dans un premier temps, lundi dernier, quand le prestigieux Financial Times qui est très lu aux Etats-Unis a annoncé le retrait de Vitol, principal fournisseur d’essence à l’Iran, la première réponse de Washington a été de faire le black-out sur le sujet dans ses médias pour restreindre l’impact de l’article. Ce qui a aussi imposé le silence aux membres de l’administration Obama. Puis dans la même journée, le décalage horaire aidant, Washington a riposté indirectement via un article par le non moins prestigieux New York Times évoquant l’impuissance d’Obama à faire adopter de nouvelles sanctions contre Téhéran. il n’y était fait aucune allusion à Vitol qui fournit depuis des années 250,000 barils d’essence aux mollahs, soit 50% de leur consommation pour minimiser son importance afin d’expliquer le silence de l’administration Obama. Puisque l’on ne parlait pas de Vitol si essentiel, l’article citait d’autres partenaires commerciaux de Téhéran dont la britannique Shell, actif aussi sur le marché du brut iranien. Washington espérait moucher Londres en le mettant devant ses propres contradictions. Shell | Mauvais calcul : Londres qui voit vraiment d’un très mauvais œil une mainmise américaine sur l’Iran et l’Asie Centrale et doit nécessairement compromettre une entente avec les mollahs n’a pas hésité à retirer Shell de l’Iran et ce d’autant plus que ses investissements dans le domaine pétrolier sont arrêtés et qu’il ne fournit que 9 000 barils d’essence par jour aux mollahs, une quantité très négligeable pour ses finances. TP 2 (1) | Washington a encore esquivé avec zéro commentaire au niveau de l’administration Obama et zéro commentaire dans les grands médias amis, sinon des articles courts sur l’inefficacité de la mesure. On peut à ce titre citer l’article Marc Roche pour le Monde qui après avoir divisé par 2 la quantité des volumes d’essence importés par l’Iran finit son texte en affirmant que « de l’avis général, en pratique, l’effet de telles mesures de rétorsion sera très limité. En effet, l’arrêt par les sociétés de trading comme par les grandes compagnies pétrolières de l’approvisionnement en carburants peut-être facilement contourné. A Dubaï, base arrière de la République islamique, existe un réseau de petits courtiers internationaux, essentiellement chinois mais aussi russes, et d’opérateurs proche-orientaux prêts à prendre le relais ». Les Britanniques ont tenté de répondre à ce coup bas en interpellant Philippe Crowley, le porte-parole de la Maison-Blanche pendant son point de presse du jeudi matin pour lui demander « son commentaire sur Shell » et la décision de l’administration « à propos de certaines sociétés asiatiques qui risquent de prendre le relais ». Crowley a répondu : « Bien, c’est une question importante. Nous avons eu beaucoup de conversation avec nos homologues du processus P5+1 pour trouver des idées pour mettre une pression supplémentaire sur l’Iran. Nous avons essayé d’informer les sociétés du secteur d’énergie ou des finances que s’ils continuent à coopérer avec l’Iran, cela aura des conséquences commerciales (ie pénalités). Et nous continuons à nous orienter vers de nouvelles sanctions éventuelles dans les semaines à venir. Nous cherchons à former une coalition de pays et de sociétés autour d’une formule équitable entre des pressions économiques et politiques dans le sens des changements en cours ». Autrement dit, il n’a rien dit sur Shell, il a même écarté à demi mots la validité de toute sanction tentée hors l’ONU et enfin il a évoqué le choix de focaliser les sanctions sur le processus politique en Iran autrement dit le soutien au Mouvement pour une république démocratique islamique ce qui a l’avantage d’aller dans le sens de ses intérêts pour améliorer l’image du régime avec lequel il doit nécessairement parvenir à une entente pour assurer ses intérêts géopolitiques. TP 2 (2) | Avec une grande régularité, dans le même temps, Washington a lancé une grande opération d’amélioration nécessaire de l’image du "régime qui refuse tout entente" avec des remises de prix à des soi-disant dissidents qui seraient des preuves vivantes qu’il existe des Iraniens issus de ce régime, fidèles à son modèle islamiste, mais très fréquentables selon les critères américains. Cette opération destinée à l’opinion américaine a été réalisée par l’intermédiaire d’ONG soi-disant neutres comme RSF, épinglée récemment pour avoir reçu des fonds du Département de l’Etat américain. Cet organisme qui a toujours été un relais pour blanchir d’anciens miliciens du régime des mollahs a cette fois attribué un prix à Parvin Ardalan, une féministe islamique qui anime la Campagne d’1 million de signatures (en faveur des réformes féministes). La campagne existe depuis plusieurs années, mais n’arrive pas à mobiliser les Iraniens car en dehors de prétendre dans ses interventions que la constitution du régime est démocratique, elle n’accepte aucun soutien sans les informations complètes sur la personne, ce qui est une tentative pour ficher les vrais opposants. Ardalan avait déjà reçu le prix Olaf Palme. A l’époque pour la rendre célèbre, le régime l’avait empêchée de quitter le pays, cette fois, on lui a donné son visa pour venir chercher son cadeau à Paris où elle a évidemment parlé du formidable Mouvement Vert, oubliant encore une fois de parler des femmes. L’autre heureuse élue est Shadi Sadr, également une féministe musulmane de la Campagne 1 million de signatures. En Mars dernier, Washington lui avait donné un prix de défenseur des droit de l’homme via la Fondation Lech Walesa, organisme qui avait l’année précédente désigné comme champion des droits de l’homme le roi d’Arabie Saoudite ! Cette année, Téhéran a donné aussi un visa pour Washington a Sadr pour aller recevoir son prix des mains de Michele Obama. Et enfin, People In Need, un organisme d’un ex-pays communiste sauvé par les Américains, a attribué sa médaille de défenseur des droits de l’homme à Majid Tavakoli et Abdollah Momeni, deux animateurs du Mouvement Vert qui sont issus du comité central de la milice universitaire (BCU), organe chargé de moucharder les vrais opposants au sein des universités. Not Yet | Avec ces 4 nouvelles humanitaires à tiroirs, Washington a écrasé pour un bon moment l’annonce de l’embargo unilatéral des Britanniques, la seule nouvelle qui avait donné de l’espoir aux Iraniens pour un changement de régime. C’est un choix déprimant pour les Iraniens, mais il ne convient pas de déprimer car il s’agit d’une guerre médiatique entre deux grandes puissances : elle ne correspond à aucune réalité. Londres continue à priver les mollahs de plus de 60% de leur divers carburants et ces derniers sont trop appauvris pour payer plus cher ces précieux produits nécessaires pour les transports ou la production de l’électricité. Ils ne sont pas non plus prêts d’accepter de tout perdre. Washington a écrasé la nouvelle de l’embargo des Britanniques, mais il sait mieux que quiconque que son entente est fichue. Il a d’ailleurs évoqué cette conscience de l’impossibilité d’une entente par l’intermédiaire de Crowley. A une dernière question « sur l’existence d’un éventuel projet de résolution contre Téhéran », le porte-parole de la Maison-Blanche a rejeté l’existence de la moindre résolution « pour le moment », mais dans sa réponse, il a remplacé le mot « résolution » par le mot « révolution » pour dire qu’il n’y avait « aucun projet de révolution pour l’instant ». C’est loin d’être un lapsus, car il l’a répété deux fois, avant de se corriger en riant et ajoutant à nouveau : « pas encore (not yet) ». C’est ce qui résume le mieux la situation. Washington a les moyens de sauver Téhéran. Il fait tout pour, puisque récemment il lui a accordé un contrat pétrolier pour lui sauver la mise face à une grogne intérieure. Mais cela n’a pas changé l’attitude de Téhéran. Il essaye encore des cadeaux, mais in fine, il devra choisir à se défaire de ce régime, ce qui est synonyme d’une révision de sa politique générale. C’est énorme et pas évident. C’est pour bientôt, mais pas tout de suite.
| Mots Clefs | Pays : Grande-Bretagne |
| Mots Clefs | Décideurs : OBAMA |
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