Iran : La France joue la carte de la prudence réaliste 24.11.2008 Le rapport d’El Baradei à propos du programme nucléaire iranien a évoqué de l’uranium hautement enrichi en quantité presque suffisante pour une bombe, mais Washington n’a nullement exploité cette piste. Le rapport évoquait aussi une pleine coopération iranienne en ce qui concerne le droit d’inspection de l’usine de l’enrichissement à Natanz, mais Washington a justement fustigé une absence de coopération avec l’AIEA. La réaction française de ce rapport tranche avec la lecture des Américains, sans pour autant se coller aux conclusions d’El Baradei. Le ministère français des affaires étrangères évoque ses doutes quant à l’existence d’une application militaire, doutes renforcés par les récents développements des technologies balistiques iraniennes, mais évite toute référence à la pleine coopération iranienne en ce qui concerne le droit d’inspection de l’usine de l’enrichissement à Natanz. Ces divergences sont dues au contenu de ce rapport : il perturbe les lignes diplomatiques des Etats-Unis vis-à-vis de l’Iran et de ses enjeux. Les enjeux iraniens sont différents selon les pays : les Américains souhaitent utiliser le prétexte des activités nucléaires pour imposer des sanctions aux mollahs afin de les forcer à devenir leurs alliés. Ils pourraient alors contrôler le Golfe Persique par où transitent 60% du pétrole de la planète, le pétrole et le gaz iranien ainsi que le gaz de l’Asie Centrale et dominer leur adversaire chinois et leurs concurrents européens et plus particulièrement les Britanniques, BP et Vitol, mais aussi l’anglo-hollandaise Shell. Les Américains rejouent la suite des évènements de 1953 en Iran, quand en s’alliant avec Mossadegh, ils ont réussi à s’emparer du gâteau pétrolier iranien au détriment des Britanniques. En revanche, les Européens et plus particulièrement les Britanniques qui ont déjà des intérêts en Iran ou avec l’Iran via des Etats-écrans doivent empêcher cette entente irano-américaine et le meilleur moyen est de neutraliser la stratégie qui permet à Washington de faire pression sur Téhéran. La base de cette stratégie a toujours été de sanctionner les investisseurs étrangers et d’étouffer l’économie iranienne en la privant des capitaux étrangers. Washington utilise le prétexte de l’absence de transparence des activités nucléaires iraniennes et des activités balistiques pour demander l’adoption de nouvelles résolutions qui revalident la nécessité de nouvelles sanctions, en l’occurrence les siennes. Il a ainsi pris la gestion de la crise. En novembre 2007, estimant qu’il était allé trop loin dans l’accumulation des accusations contre Téhéran, Washington a publié un rapport de synthèse de 16 de ses services secrets (NIE 2007) pour affirmer que Téhéran était encore loin de pouvoir créer une bombe afin de donner un délai supplémentaire à leur méthode pour faire plier les mollahs et leur arracher une entente. Après cette publication, les Britanniques qui ont diffusé en février 2008 des rumeurs d’un essai souterrain d’une tête nucléaire par l’Iran et aussitôt El Baradei et son adjoint Olli Heinonen ont placé cette rumeur au centre des rapports de l’AIEA. Depuis, les Américains refusent de prendre en compte cette conclusion des rapports de l’AIEA car elle rend politiquement incorrecte auprès de l’opinion américaine une entente avec un Etat susceptible de menacer l’équilibre de la région. Le dernier rapport les a encore plus perturbés car l’AIEA évoque en parallèle la transparence des autres activités nucléaires de l’Iran : un élément qui risque d’aller à l’encontre de la nécessité de maintenir les sanctions américaines. Washington a donc rejeté totalement ce rapport (lire notre analyse) en revenant aux bases de sa stratégie en insistant sur l’absence de transparence et en évitant de mentionner la matière suffisante pour une bombe, affirmation qui est susceptible de remettre en cause son rapport de synthèse de 2007 et l’ensemble de ses projets de normalisation des relations avec les mollahs. La Grande-Bretagne qui a téléguidé cette opération de neutralisation de la stratégie américaine est restée en retrait. Mais son ministre des affaires étrangères, David Miliband s’est exprimé à la veille de la publication du rapport en insistant sur le bouleversement que serait un Iran doté de l’arme nucléaire, propos qui sonnait si juste après la publication du rapport évoquant la proximité de la bombe iranienne. La France a choisi une voie médiane entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Elle a évoqué des doutes sur l’application militaire du programme iranien, doutes renforcés par les récents tirs de missiles iraniens, mais elle n’a pas exploité l’affirmation de transparence des activités iraniennes à Natanz ; ce qui laisse supposer qu’elle n’entend pas laisser la Grande-Bretagne prendre la direction de la crise pour régler ses vieux comptes (datant de 1953) avec les Etats-Unis. La France agit avec prudence : ceci lui permet de rester aussi neutre que possible vis-à-vis de l’Iran afin de préserver ses intérêts dans ce pays et une certaine marge pour se poser en un allié potentiel pour l’Etat qui s’imposera aux mollahs (l’Amérique ou la Russie). Ce choix dicté par la réalité de ses capacités et de ses intérêts est un choix géopolitique, mais surtout un retour à la politique chiraquienne (qui fut indirectement si favorable aux mollahs). Par ce choix réaliste mais peu ambitieux, la France laisse à nouveau les mollahs choisir son avenir. © WWW.IRAN-RESIST.ORG
Qu’en pensent les mollahs :
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