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La Croix | La Russie achève lentement sa centrale nucléaire en Iran
27.02.2008

Dans le sud de l’Iran, 1 300 Russes, certains venus avec femmes et enfants, construisent la centrale nucléaire controversée. Le chantier accumule les retards.
Benjamin QUENELLE, à Bouchehr



Dans le sud désertique de l’Iran, c’est une oasis russe. À Bouchehr, la Russie construit la première centrale nucléaire du pays destinée à fournir la République islamique en électricité. Le décor se réduit à une immensité sablonneuse et aride.

L’été, la température monte jusqu’à 50 degrés Celsius. Mais ici, dans le possiolok (« village »), tous les matins entre 7 et 8 heures, les bus longent des allées à la végétation luxuriante.

Au milieu de cette verdure et d’un quadrillage de rues portant des noms russes, ils font le tour des employés. Russes, Biélorusses, Moldaves, Ukrainiens, Géorgiens, Arméniens, Tadjiks… un petit échantillon de l’ex-URSS se retrouve pour aller travailler.

Les enfants, eux, partent suivre le cursus russe dans l’école construite à l’entrée du village, entre salle de sports, centre culturel, infirmerie et épicerie au nom bien éloigné de la réalité iranienne (« Le petit bouleau »).

Le soir, la télévision montre le président Poutine

Le soir, la stolovaia, la traditionnelle cantine soviétique, sert des plats de blini, pelmeni, borchtch… Il y a rarement du kebab au menu. Accroché au mur de l’immense salle, l’écran de télévision montre le président Poutine et le reste des actualités moscovites du jour.

À la maison, chaque foyer est relié aux huit principales chaînes russes. Mais aucune chaîne iranienne n’est disponible.

Les soirs de fête, c’est-à-dire les jours fériés à Moscou, un concert fait danser grands et petits sur les airs des romances plus ou moins neuves de la pop russe. « Mais ici on fait aussi des choses impossibles en Russie ! », s’enthousiasme Vladimir Nechoumov, 55 ans, l’un des doyens de ce « village » planté sur les bords du golfe Persique. Il passe son temps libre à « pêcher des poissons qu’on ne trouve pas dans la Moscova. La vie est plutôt belle ! En tout cas, on finit par s’habituer… »

Le "village" sert de base pour le chantier de la centrale

Le « village » sert de base pour le vaste chantier de la centrale où Iraniens et Russes travaillent ensemble, entre cyrillique et persan, entre affiches russes et portraits du Guide suprême. Sur un mur près du réacteur, les ouvriers échangent des informations dans une langue commune : le dessin. Au milieu, figure une tortue.

« Cela représente le dôme de la centrale », explique un ingénieur. Son collègue, superviseur, est plus ironique : « Cela symbolise la lenteur des travaux… » Car la centrale de Bouchehr, commencée par les Allemands avant la révolution islamique de 1979, puis reprise par les Russes en 1995, accumule les retards pour des raisons techniques, mais surtout politiques.

Au fil des ans et des blocages diplomatico-financiers, le personnel expatrié qui construit la centrale est passé de 3 000 à 1 300 salariés. Dans le « village », construit juste en face de la centrale, les infrastructures montrent des signes de vieillissement. Certaines maisons bâties au temps du démarrage par les Allemands sont aujourd’hui quasi abandonnées.

« Ici, après le travail, il n’y a rien à faire… »

Les salaires relativement faibles (1 000-2 000 dollars pour les emplois de base, les revenus des postes plus qualifiés restant « un secret bien gardé ») et les retards pris dans leur versement ne sont pas les seuls obstacles à la venue d’une main-d’œuvre russe.

« Ici, après le travail, il n’y a rien à faire… », glisse, anonyme, un jeune employé. « En plus, le régime politique iranien est dur et policier… Il vaut mieux ne pas tomber amoureux d’une Iranienne. Ou alors très discrètement ! »

Russe, « le village » reste en effet un territoire iranien où la charia s’applique. Tout le monde travaille le samedi et dimanche, mais se repose le vendredi. Les femmes doivent être voilées, à l’exception de quelques heures le soir lorsque la base est fermée aux Iraniens. Une plage, avec vue superbe sur le Golfe, a été aménagée pour les Russes. Hommes et femmes (entièrement vêtues) nagent séparément.

Des mesures qui créent une obsession sécuritaire

Les relations avec la population locale sont bonnes, officiellement. Mais, composé d’anciens militaires et membres du FSB (un des héritiers du KGB), un service de sécurité veille. Les habitants du « village » ne sont autorisés à le quitter à pied qu’en groupe de trois personnes minimum.

Ces mesures créent une obsession sécuritaire. D’autant plus que la base est entourée de murs surmontés de fils barbelés. Redoutant une attaque israélienne, les Iraniens ont installé d’omniprésentes batteries de défense antiaérienne. Et les « barbus » (policiers en civil) patrouillent.

« Ici, nous respectons le pays et sa loi ! Interdiction donc de boire de l’alcool », lance l’un des sept agents de sécurité du « village ». Cela ne l’empêche pas, quelques heures plus tard, de se retrouver autour d’une table où, toasts après toasts, les simples employés russes boivent à la bonne santé de la centrale iranienne. Fabriquée clandestinement dans les cuisines, la vodka de Bouchehr s’est, elle aussi, adaptée : elle est parfumée au sirop de dates…

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

Pour en savoir + sur les retards accumulés :
- Iran : Bouchehr fait trop envie !
- (2 JANVIER 2008)

| Mots Clefs | Nucléaire : Equipements & Centrales |

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : RUSSIE |