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Courrier Int. | Nezavissimaïa Gazeta : Les nationalistes azéris prêts à dépecer l’Iran
04.01.2008

L’euphorie pétrolière qui règne depuis deux ans fait tourner bien des têtes. Certains rêvent désormais d’un Grand Azerbaïdjan unifié qui pourrait naître de l’éclatement de l’Iran en cas de conflit avec les Etats-Unis.



En 2006, au bout de longues années d’un travail acharné, d’attente et de polémiques, les gisements Azeri-Chirag-Guneshli ont enfin commencé à produire à plein. En 2007, les ventes de pétrole ont ainsi permis de porter le budget national à 7 milliards de dollars, et le fonds de réserve a dépassé les 5 milliards. Les revenus pétroliers devraient dépasser les 10 milliards de dollars en 2010. Par ailleurs, les 2 millions d’Azéris qui travaillent à l’étranger, principalement en Russie, envoient de l’argent au pays, à hauteur de 2 milliards à 2,5 milliards de dollars par an. Les prix élevés du pétrole permettent au gouvernement de développer l’économie, de financer divers programmes sociaux et de créer de nouveaux emplois (environ 100 000 ces derniers temps). Une classe moyenne émerge peu à peu, détentrice de revenus relativement confortables à l’échelle locale.

Il ne fait guère de doute qu’Ilkham Aliev [l’actuel président] remportera l’élection présidentielle qui doit avoir lieu à l’automne prochain. Pour la majorité des gens, c’est lui qui, au côté de son père, le défunt Gueïdar Aliev [détenteur du pouvoir de 1969 à 2003], est l’auteur du miracle économique actuel. L’opposition, empêtrée dans ses dissensions et toujours incapable de s’unir, n’a rien à rétorquer. Les ambitions et l’orgueil personnel de ses leaders rendent impossible la désignation d’un candidat unique.

Mais l’euphorie pétrolière a fait tourner bien des têtes. Ainsi, une campagne se développe actuellement afin d’attirer l’attention sur la question de l’“Azerbaïdjan du Sud”, c’est-à-dire les provinces du nord de l’Iran, essentiellement peuplées d’Azéris. Dans les colonnes des journaux locaux, il est de plus en plus fréquent de lire des articles sur “le mouvement national des Azéris” en Iran, leur “lutte pour l’indépendance” et leur “droit à l’auto­détermination”. Articles qui rappellent, par leur esprit et leur contenu, les textes répandus dans les journaux arméniens à la fin des années 1980, qui avaient contribué à créer le climat idéologique favorable à l’entreprise d’annexion du Haut-Karabakh.

Aujourd’hui, à Bakou, l’éventualité d’une guerre contre l’Iran et ses conséquences pour la Transcaucasie sont l’un des sujets les plus discutés. Beaucoup se montrent raisonnables et comprennent que, même si les Etats-Unis se contentaient d’une attaque aérienne contre des sites iraniens, cela pourrait avoir des conséquences irrémédiables. Il se trouve pourtant des journalistes et des hommes politiques pour clamer leur attente impatiente d’une frappe contre l’Iran. L’idée d’un “Grand Azerbaïdjan unifié” qui pourrait naître d’un éclatement de l’Iran a déjà été lancée. Les partisans de cette idée sont séduits par la perspective de transformer l’Azerbaïdjan en une puissance régionale, un leader économique et politique de la Transcaucasie. Pour eux, si cela se réalisait, régler enfin le conflit du Haut-Karabakh ne serait plus qu’une question technique.

En cas de guerre, l’Iran a des partisans en Azerbaïdjan

Selon des statistiques établies en 2003, l’Iran compte 66,5 millions d’habitants, dont environ 18 millions d’Azéris, qui, après les Persans, représentent le groupe ethnique le plus important de la société iranienne, à laquelle il est d’ailleurs bien intégré. La majorité d’entre eux vivent dans le nord du pays. Ils sont nombreux à occuper de hautes fonctions dans la vie politique et spirituelle, dans les milieux d’affaires et l’armée. Ces vingt ou trente dernières années, on n’a noté aucune tendance séparatiste sérieuse dans les régions où la population azérie est le plus fortement représentée.

En Azerbaïdjan même, plusieurs facteurs favorisent l’influence religieuse et politique de l’Iran : identité de la religion (60 % des musulmans d’Azerbaïdjan sont chiites, et le chiisme est la religion d’Etat de l’Iran), mécontentement d’une partie de la population face au partage jugé inéquitable des biens matériels, en particulier des revenus pétroliers. Parmi les mécontents, la création d’un “Etat islamique juste” est une notion très populaire. Par ailleurs, le sud de l’Azerbaïdjan est peuplé d’environ 100 000 Talychs, une minorité nationale persanophone. Tout cela signifie que, en cas de guerre, l’Iran pourrait compter sur des partisans en Azerbaïdjan.

Ces deux derniers mois, un certain nombre de hauts responsables des Etats-Unis et de l’OTAN se sont rendus à Bakou. Ils ont proposé à l’Azerbaïdjan de créer, avec la Géorgie, un “front idéologique antirusse” uni en Transcaucasie et ont poussé Bakou à annoncer officiellement son intention d’adhérer à l’OTAN et à afficher sans honte la présence militaire américaine sur son territoire. Pour l’instant, Bakou a raisonnablement refusé les deux premières propositions. Pour ce qui est de la présence militaire, il est impossible d’en dissimuler l’ampleur.

Selon certaines sources, plus de 2000 militaires américains stationneraient en permanence sur le territoire azerbaïdjanais. En 2006, des stations radar ont été construites aux frontières avec l’Iran (à Astara) et avec la Russie (à Khyzy). En 2012, le bail de location russe de la station radar de Gabala arrivera à expiration. A cette date, les Américains ont visiblement l’intention de la récupérer. Ils auraient aussi achevé de moderniser et de remettre en parfait état de fonctionnement sept aérodromes (voire neuf, selon certaines sources) dans le pays.

Officiellement, tout cela est présenté comme un ensemble de mesures destinées à “protéger les oléoducs et surveiller la situation en mer Caspienne”, mais il est évident pour toute personne de bon sens que ces objectifs-là nécessiteraient des vedettes militaires, des corvettes et des unités navales légères plutôt que des radars ou des aérodromes. Manifestement, dans sa stratégie militaire, Washington considère l’Azerbaïdjan comme une base avancée bien pratique pour porter des attaques aériennes contre l’Iran.

La vie deviendrait du jour au lendemain un enfer

Lors du récent sommet des pays de la Caspienne qui s’est tenu à Téhéran, l’Azerbaïdjan s’est engagé à ne pas mettre son territoire à la disposition de pays tiers désireux de mener une opération militaire. Il est peu probable qu’il tienne parole, car, s’il rechignait au moment crucial, les Etats-Unis pourraient mettre en œuvre tout un arsenal de moyens de pression allant de l’élection présidentielle à un changement de position sur le problème du Haut-Karabakh, et pourraient même organiser dans le pays une “révolution orange”.

Téhéran a maintes fois averti que, si des avions américains prenaient part à une attaque en décollant d’Azerbaïdjan, la riposte serait immédiate. L’armée iranienne dispose de missiles stratégiques et tactiques capables d’atteindre le territoire azerbaïdjanais. Les forces antiaériennes de l’Azerbaïdjan ne seraient sans doute pas en mesure de stopper un éventuel raid iranien. Une guerre contre l’Iran détruirait totalement l’équilibre des forces qui existe à ce jour au Proche- et au Moyen-Orient, et transformerait toute la région en un immense Irak. Dans tous les pays musulmans, les islamistes radicaux en seraient renforcés, y compris en Azerbaïdjan, où des dizaines, peut-être des centaines de partisans de l’Iran descendraient dans les rues mus par la soif de vengeance. Attentats, actes de sabotage, réfugiés iraniens deviendraient une réalité que l’on a du mal à imaginer quand on regarde aujourd’hui la foule paisible qui flâne le long de la promenade du front de mer de Bakou.

La vie de nombreux Azerbaïdjanais, qui profitent depuis ces deux dernières années des bienfaits d’une croissance économique continue, deviendrait du jour au lendemain un enfer. Ils ne pourraient pas rester en marge des combats, cachés derrière le dos des Etats-Unis, pour ensuite partager avec eux les fruits de la victoire. L’Azerbaïdjan serait immanquablement pris dans l’orbite des actions militaires et deviendrait une cible pour une riposte iranienne. Ainsi, les partisans de la guerre, qui sont en ce moment aveuglés par leur ivresse nationaliste et le mirage d’un “Grand Azerbaïdjan”, devraient s’attendre à une cruelle déception.

Zourab Todoua
- Politologue, chercheur à l’Institut de religion et de politique (Moscou)

C’est Staline qui a inventé le concept de la République d’Azerbaïdjan pour justifier une agression du territoire iranien afin d’annexer le nord de l’Iran. Le Caucase a été iranien au début du XIXe siècle et finalement la convoitise des Tsars a porté ses fruits et ces derniers ont pu détacher ces régions de la Perse. L’objectif des Russes était de grignoter le territoire iranien et peu à peu s’approcher du Golfe Persique afin de casser l’enclavement de la Russie.

Les habitants du nord-ouest iranien parlent l’Azéri (Âzari) qui est une langue iranienne turquisée qui n’a rien avoir avec les langues altaïques ou turciques. Il y a souvent une confusion phonétique entre la langue Azéri et l’Etat d’Azerbaïdjan (inventé par l’ex-URSS). Et en se basant sur ces confusions tantôt phonétiques tantôt politiques, l’Etat d’Azerbaïdjan épaulé par la Turquie et les Etats-Unis revendique des territoires dont les habitants sont profondément attachés à l’Iran. Les américains recyclent les vieilles méthodes staliniennes.

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| Mots Clefs | Enjeux : Remodelage du Moyen-Orient et de l’Asie Centrale |

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : Caucase |