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Iran : La livraison du combustible russe relance la crise nucléaire
18.12.2007

Alors que dimanche soir, au cours de son point de presse hebdomadaire, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères affirmait qu’il n’avait aucune nouvelle information sur Bouchehr, et lundi toutes les agences de presse ont affirmé que la Russie avait livré du combustible pour Bouchehr. D’un point de vue technique, il s’agit en fait d’un premier lot de combustible sur un total de 80 tonnes nécessaires pour la mise en marche de Bouchehr. Mais ce qui importe dans la crise nucléaire iranienne n’est pas l’aspect technique mais l’aspect géopolitique de l’affaire et ce jeu d’échec se joue à trois entre l’Iran, la Russie et les Etats-Unis. Cette livraison n’a pas la même signification pour les mollahs que pour les américains et modifie la relation entre ces deux camps.



Signification pour l’Iran | Moscou a affirmé que la totalité des 80 tonnes nécessaires pour la mise en marche de Bouchehr seraient livrées sur une durée de 2 mois. Le combustible en question se présente sous la forme d’un assemblage de 264 tubes d’un diamètre d’un centimètre et d’une longueur de 4 mètres qui contiennent 2,24 kg de combustible nucléaire (320 pastilles d’uranium [1]). Cet assemblage porte différents noms et il est appelé cartouche par les russes (son poids est d’environ 1800 kg et contient environ 591 kg de combustible -photo ci-dessous-). Selon les différentes estimations, 130 à 160 cartouches sont nécessaires pour faire fonctionner une centrale VVER 1000 comme celui de Bouchehr et le tiers doit être renouvelé chaque année.

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

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La livraison de ces énormes cartouches ne comporte aucune difficulté technique car le combustible est faiblement enrichi. Une fois cette opération de livraison achevée, pour mettre en marche la centrale, les ingénieurs russes devront introduire une par une ces cartouches de presque 2 tonnes dans le réacteur : l’opération peut prendre environ deux autres mois. Par la suite les ingénieurs doivent mettre en marche cette très grosse chaudière qu’est un réacteur, en le testant à différents seuils d’utilisation (à 5%, 10%, ainsi de suite) afin de s’assurer que tout fonctionne bien et qu’il n’y a aucune fuite à aucun niveau ni de problème de surchauffe. Les tests dureront de 3 à 5 mois (6 mois selon les russes) et à l’issue de ces 3 étapes et ces longs réglages, les mollahs auront leur première centrale électrique nucléaire. Cet équipement nécessite un entretien permanent surtout au moment du remplacement du combustible usager du réacteur et son acheminement vers les caissons de stockages car à ce moment le combustible est hautement radioactif.

Nous sommes donc au tout début d’un processus à plusieurs étapes et la livraison du combustible n’est pas synonyme de livraison de la Centrale. Or, comme nous l’affirmons, ce que veulent les mollahs, ce n’est pas le combustible mais la centrale. La possession d’une centrale en marche est la justification du maintien d’un programme d’enrichissement.

Le maintien de ce programme est essentiel pour les mollahs. Il leur permet de provoquer des crises et des tensions avec les américains et d’exploiter ces crises pour remettre en cause le leadership international des américains en les empêchant de créer un front unis solidaire de leur guerre contre l’Iran. L’objectif est d’excéder l’Amérique afin qu’elle reconnaisse le régime des mollahs et son rôle régional pour écourter la remise en cause de son hégémonie.

Ce programme d’enrichissement ne peut être abandonné après une entente avec les Etats-Unis. Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas d’une vraie entente, mais d’un partage, d’un pacte de non-agression, et les mollahs désirent garder dans leur jeu la possibilité de relancer la crise de l’enrichissement.

Ineraction Iran-Amérique-Russie | Téhéran agit ainsi avec une grande confiance en soi car il compte parmi ses alliés la Chine et surtout la Russie. De son côté, Moscou a besoin de Téhéran pour affaiblir Washington. Elle a besoin des atouts géopolitiques de ce pays (Asie Centrale-Caucase-Golfe Persique) et des capacités de nuisance terroriste et révolutionnaire des mollahs pour s’en prendre aux pétromonarchies arabes alliées des Etats-Unis. C’est un cocktail explosif dont la Russie ne peut se passer pour doper son retour sur la scène internationale. Le seul ennui est que Téhéran a toujours créé des crises pour finalement aboutir à un accord avec Washington au grand désespoir des russes. Cependant, les russes ont très vite compris qu’ils pouvaient retarder les pourparlers entre les mollahs et les américains en privant l’Iran de leur joker : la centrale de Bouchehr qui justifie le maintien des activités d’enrichissement.

En revanche, les russes justifiaient ce retard comme une preuve de leur implication dans les sanctions décidées par le Conseil de Sécurité : Ainsi en août 2007, Moscou avait fait savoir qu’il avait demandé au régime des mollahs de dissiper les zones d’ombre sur son programme nucléaire sinon la Russie s’abstiendrait de toute livraison de combustible pour Bouchehr.

La Russie faisait alors un coup-double en retenant en otage Bouchehr, le joker des mollahs, pour empêcher les mollahs de trouver une entente avec les Etats-Unis et ce conformément aux demandes américaines qui exigeaient la fin de toute coopération avec le programme nucléaire iranien. Aujourd’hui, la Russie fait un nouveau coup-double avec cette livraison des premières cartouches destinées à mettre en marche Bouchehr. Ce coup de maître est fondé sur un constat de lucidité. La Russie a toujours su que :
- Téhéran ne peut en aucun cas renoncer à une entente avec les américains,
- il ne peut en aucun cas renoncer au maintien d’un programme d’enrichissement injustifié
.

Moscou a accepté de livrer le combustible et Téhéran a immédiatement et catégoriquement refusé la suspension en affirmant que son combustible n’était pas destiné à Bouchehr mais à la nouvelle centrale de Darkhovin (dont les travaux n’ont jamais démarré).

Coup double : la Russie honore ses engagements envers l’Iran, et en plus elle livre le combustible en se basant sur l’argument du rapport des services secrets américains qui affirment que les mollahs n’ont plus de programme nucléaire militaire depuis 2003. Dans l’immédiat, les mollahs n’ont toujours pas de centrale, mais une entente rapide est désormais exclue entre Bush et ces mollahs qui inventent de nouveaux motifs (Darkhovin) pour maintenir un enrichissement injustifié ! Cette première livraison d’une partie des 80 tonnes de combustibles nécessaires pour la mise en marche de Bouchehr relance donc simplement la crise entre Téhéran et Washington.

Cette nouvelle crise est d’autant plus importante que les deux alliés des mollahs, La Chine et la Russie font preuve d’une mauvaise foi évidente en s’opposant à de nouvelles sanctions sur la base du rapport fabriqué par les américains pour diminuer l’urgence de la menace nucléaire iranienne et sur la base de nouvelles déclarations de l’AIEA qui se félicite de la qualité de la coopération des mollahs.

Pourtant au fond, tout est basé sur des mensonges, le régime des mollahs n’a aucune capacité nucléaire sinon il réussirait à mettre en marche la centrale déjà achevée de Bouchehr. L’enjeu de cette crise n’est pas nucléaire mais géopolitique. Chacun des intervenants ment pour des raisons différentes ; les mollahs pour continuer le jeu et obtenir une reconnaissance régionale, les américains pour faire plier les mollahs par des sanctions et obtenir une entente au détriment de la Russie, et les russes pour continuer leur alliance avec Téhéran et affaiblir la place des Etats-Unis dans la région.

Récemment, Téhéran a cherché à rassurer les russes en cessant de relancer le processus de dialogue pour une entente avec les américains, mais les russes voulaient du solide.

Et ce soir, la Russie a relancé la crise sans même mesurer les conséquences pour l’Iran, car plus les Etats-Unis affaibliront les mollahs et plus ces derniers auront besoin de la Russie, comme allié et investisseur. La Russie pourrait même souhaiter que les Etats-Unis décident une attaque militaire, car elle pourrait alors s’affirmer comme un rempart régional contre le « bellicisme injustifié des Etats-Unis ». L’enjeu est géopolitique. La crise est définitivement relancée et il n’y a personne pour dénoncer les mensonges, des mollahs, d’El Baradei, des américains et des russes.

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

Pour en savoir + sur le maintien d’un programme d’enrichissement :
- Iran : La revendication très tactique des 3000 centrifugeuses
- (8 NOVEMBRE 2007)

| Mots Clefs | Nucléaire : Crise & Escalade |

| Mots Clefs | Zone géopolitique / Sphère d’influence : Alliance IRAN-RUSSIE |

| Mots Clefs | Nucléaire : Equipements & Centrales |

| Mots Clefs | Nucléaire 2 : DROIT à l’enrichissement et Maîtrise du cycle |

[1Cartouches | Après enrichissement, l’hexafluorure d’uranium est converti en oxyde d’uranium sous la forme d’une poudre noire. Celle-ci est comprimée puis frittée (cuite au four) pour donner des petits cylindres d’environ 1 cm de long et gros comme des petits morceaux de craie, appelés « pastilles ». Chaque pastille, qui ne pèse que 7 g, peut libérer autant d’énergie qu’une tonne de charbon (1 million de grammes). Les pastilles sont enfilées dans de longs tubes métalliques de 4 m de long en alliage de zirconium, les « gaines », dont les extrémités sont bouchées de manière étanche pour constituer les « crayons » de combustible. Pour une centrale, plus de 40.000 crayons sont préparés pour être rassemblés en « fagots » de section carrée, appelés assemblages ou cartouches. Chaque assemblage contient 264 crayons. Le chargement d’un réacteur nucléaire de 900 mégawatts (millions de watts) nécessite 157 assemblages contenant en tout 11 millions de pastilles (ci-dessous).