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Washington Post | Daniel Pipes : La chance de l’Iran (10 juillet 1980)
20.07.2007

Nous avons déniché un article écrit en 1980 (Iran’s Good Fortune), dans lequel Daniel Pipes se félicitait que grâce à la révolution islamique les Iraniens aient détruit toutes les grandes avancées industrielles et technologiques du régime du Shah...



© WWW.IRAN-RESIST.ORG

La chance de l’Iran (Iran’s Good Fortune)

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Peu après que Christophe Colomb ait découvert l’Amérique, d’autres expéditions espagnoles conquirent de vastes portions des côtes de l’Amérique du Sud, dans les années 1500. De tous les nombreux produits souvent étranges et de grande valeur de ce continent, les plus importants étaient ses gisements presque inépuisables d’or et d’argent. Les précieux métaux étaient extraits des mines et amenés sur les côtes par les Indiens, pour des salaires de misère, et des galions les transportaient en Espagne par flottes entières.

Grâce à ces richesses minières, l’Espagne devint le plus grand et le plus riche empire d’Europe au XVIe siècle. Son gouvernement devint rapidement dépendant de cette source permanente de revenus – dont aucun travail ne justifiait l’ampleur – en provenance d’Amérique du Sud. Et l’introduction sur le marché de tant de lingots provoqua une vague inflationniste – les marchands convergeaient vers l’Espagne depuis les quatre coins d’Europe pour y vendre leurs meilleurs produits au prix fort. Après un siècle, les mines s’épuisèrent, l’économie espagnole s’effondra et l’empire se désagrégea en partie. L’argent facile de l’Amérique avait perverti l’économie et la société en créant des richesses et une puissance artificielles qui disparurent dès que l’afflux de métaux précieux déclina. L’Espagne connut alors de terribles difficultés pour se réadapter et payer ses propres fournitures – elle traversa ainsi quatre siècles d’isolation et d’introversion. Ce n’est qu’au cours de la dernière décennie que l’Espagne put émerger et retrouver le niveau de vie européen normal.

À la fin du XXe siècle, les choses se passent plus rapidement et atteignent des extrêmes, mais le déluge d’argent gratuit que les pays exportateurs de pétrole ont encaissé au cours des dernières années ressemble tout à fait aux revenus en métaux précieux de l’Espagne, des siècles auparavant. Les membres de l’OPEP aussi jouissent d’une fortune et d’une puissance immenses, bien qu’ils n’aient rien fait pour les mériter. Sans compétences, ni culture du travail qui leur soient propres, ces pays ont acquis une influence et un prestige considérables.

Personne ne discerne clairement combien de temps les prix et les rythmes de production de pétrole pourront être maintenus aux niveaux élevés actuels – peut-être à peine quelques années, peut-être plus d’un siècle. Mais une chose est sûre : le boom pétrolier arrivera à son terme, comme tous les autres. Ce changement peut être engendré par des énergies de substitution, une division des États de l’OPEP entre des superpuissances ou une guerre nucléaire. Mais même si aucun bouleversement majeur ne vient réduire les revenus du pétrole, de nombreux pays de l’OPEP seront à court de pétrole d’ici dix ou 25 ans s’ils tentent de maintenir leur niveau de production sans trouver de nouvelles réserves.

Quand le boom prendra fin, l’énorme transfert de richesses actuel s’interrompra également. Les pays habitués à des revenus fabuleux seront alors confrontés à des situations dramatiques. L’Arabie Saoudite, par exemple, avec ses cinq millions d’habitants, doit toucher quelque 100 milliards de dollars en 1980, soit environ 20 000 dollars par personne – cela ne peut pas durer indéfiniment. Les conséquences d’une réduction des revenus sont parfaitement prévisibles : troubles sociaux, agitation politique et désagrégation économique. Ce n’est jamais facile de cesser d’être riche.
Il pourrait en être autrement en Iran. Depuis que le mouvement visant le renversement du shah a pris son essor, en 1978, les Iraniens se concentrent sur des questions politiques et ignorent presque entièrement les affaires économiques. Ainsi a eu lieu un événement majeur, mais peu remarqué : l’Iran a effectué sa transition vers une économie post-pétrolière. Il est devenu le seul producteur pétrolier majeur à avoir renoncé à ces enivrants milliards pour vivre par ses propres moyens. Cette transition n’est certes ni aisée ni terminée, mais elle s’est bien déroulée pour l’instant parce qu’elle était le résultat d’une action volontaire.

Les Iraniens eux-mêmes ont choisi de détruire l’ancien régime et de réduire les grands projets économiques du shah. Ils supprimèrent un pipeline vers l’Union soviétique, cessèrent les ventes à l’Afrique du Sud, à Israël et aux Philippines, et obligèrent les États-Unis à interrompre les affaires commerciales en prenant en otages des diplomates américains. Il y a deux ans, l’Iran exportait six millions de barils par jour ; aujourd’hui, ses exportations ont baissé jusqu’à passer peut-être sous la barre du demi-million de barils par jour. En dépit du doublement des prix du brut, les revenus pétroliers iraniens ont chuté de près de 75%.

D’un certain point de vue, cet arrêt volontaire des exportations de pétrole pourrait bien être l’aspect le plus significatif de la révolution iranienne. Alors que d’autres pays n’envisagent pas encore la vie sans les milliards du pétrole, l’Iran a franchi le pas. Il continue de compter sur certains revenus pétroliers, et sa révolution n’est pas achevée, mais ses difficultés pourraient fort bien se révéler bénignes comparées à l’agonie d’autres exportateurs de pétrole. Le point essentiel est celui-ci : une catastrophe potentielle semble pouvoir être évitée aisément parce que les Iraniens eux-mêmes, et non un acteur extérieur, ont décidé de limiter leur dépendance du pétrole.

Puissent les autres membres de l’OPEP saisir cette chance.

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Pour en savoir + sur l’auteur, Daniel Pipes :
- L’Iran, Daniel Pipes et sa pom pom girl !
- (20 juillet 2007)