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Le Monde | Iran : rétablir la confiance
22.09.2005

22 Septembre, 2005 | par Philippe Douste-Blazy, Joschka Fischer, Javier Solana, Jack Straw



S’il est un objectif qui réunit les gouvernements de tous bords, c’est bien celui de mettre fin à la dissémination des armes nucléaires. L’action menée au niveau international pour instaurer un système crédible de prévention de la prolifération de ces armes a pour fondement le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Ce traité compte davantage d’Etats signataires que tout autre. Son respect strict est essentiel pour la sécurité internationale et pour l’efficacité de notre système multilatéral.

Il y a deux ans et demi, l’Iran a été obligé de reconnaître devant l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qu’il construisait des installations secrètes d’enrichissement de l’uranium et de production de plutonium, pouvant être utilisées pour produire des matières destinées à des armes nucléaires. Par ailleurs, ce pays s’employait, et continue de s’employer, à mettre au point des missiles balistiques qui seraient en mesure de servir de vecteurs à des ogives de ce type. L’Iran paraissait défier le régime de non-prolifération. Des recherches ultérieures ont montré que, pour reprendre les termes de l’AIEA, "la politique de dissimulation de l’Iran (...) a entraîné de nombreuses violations de ses obligations".

Celles-ci laissent sérieusement craindre que le programme nucléaire iranien puisse ne pas avoir, comme l’affirme ce pays, des buts uniquement pacifiques. En vertu des règles de l’AIEA, le cas de l’Iran aurait dû être soumis au Conseil de sécurité des Nations unies, il y a deux ans. Nous avons voulu plutôt trouver une issue qui donnerait à l’Iran la possibilité de dissiper ces préoccupations et de prouver que les objectifs de son programme nucléaire étaient pleinement pacifiques.

Le conseil des gouverneurs de l’AIEA a accepté de suspendre un rapport sur cette question au Conseil de sécurité afin de donner une chance à l’initiative européenne. Le coeur de notre initiative visait à proposer à l’Iran de rétablir la confiance en suspendant l’ensemble de ses activités liées à l’enrichissement et de ses activités de retraitement pendant que nous discuterions d’arrangements à long terme mutuellement acceptables. Le conseil de l’AIEA a adopté à l’unanimité six résolutions successives qui demandaient à l’Iran de suspendre ces activités.

En novembre 2004, l’Iran a fini par accepter d’aller de l’avant sur cette base. L’accord dit de Paris a défini le cadre de nos négociations. Il offrait non seulement la perspective d’une solution à long terme du problème nucléaire mais encore celle de relations plus fortes entre l’Europe et l’Iran, y compris une coopération en matière politique et de sécurité, ainsi que dans les domaines économique et scientifique.

Les enjeux étaient importants, ils le sont encore aujourd’hui. En cas de succès de ce processus, l’autorité du régime de non-prolifération en sortira renforcée. A l’inverse, si l’Iran persiste dans la même voie, l’Asie centrale et le Moyen-Orient, qui sont parmi les zones les plus fragiles du monde, risquent d’être déstabilisés. D’autres Etats pourraient bien chercher à développer leurs propres capacités. Le TNP en sera gravement affecté, tout comme l’objectif d’établir au Moyen-Orient une zone exempte d’armes de destruction massive, cause à laquelle nous sommes attachés. Cela explique le large soutien dont nous bénéficions. Le mois dernier, l’Iran a décidé de défier la communauté internationale en reprenant la conversion d’uranium dans son usine d’Ispahan, mesure unilatérale qui a interrompu nos pourparlers.

L’Iran affirme ne rien faire d’autre qu’exercer son droit à l’usage pacifique des technologies nucléaires, en conformité avec le TNP. Il cherche à présenter le problème comme un différend qui opposerait le monde développé et les pays en développement.

Ces arguments ne résistent pas à l’examen. Personne ne cherche à empêcher l’Iran de produire de l’électricité grâce à l’énergie nucléaire. Nous ne remettons pas en question les droits qui découlent du TNP pour l’Iran, pas plus que pour tout autre pays. C’est pourquoi nous lui avons proposé, en août, dans le cadre d’un accord à long terme, d’apporter notre soutien à son programme nucléaire civil. Mais, si le TNP reconnaît des droits, il comporte aussi des obligations très claires, et il existe de sérieux motifs de craindre que les ambitions nucléaires de l’Iran puissent ne pas être exclusivement pacifiques.

Durant près de vingt ans, l’Iran a caché des activités liées à l’enrichissement et des activités de retraitement qui, en cas de réussite, lui permettraient de produire des matières fissiles pour une arme nucléaire. C’est seulement depuis 2002, avec la découverte de l’étendue de ses activités non déclarées, qu’il en a reconnu l’existence ; encore n’était-ce que sous la pression d’investigations de l’AIEA. L’Iran avait commencé par nier tout enrichissement de matières nucléaires, mais il a été établi qu’il s’y était livré en utilisant deux procédés distincts. Il a également affirmé que son programme d’enrichissement par centrifugation n’avait bénéficié d’aucune aide extérieure, mais il a été établi qu’il avait eu recours au même réseau secret que celui qui avait permis à la Libye et à la Corée du Nord de développer des programmes clandestins d’armement nucléaire.

Aucune logique économique ne justifie l’existence des installations qui se trouvent au centre du différend, les usines d’Ispahan et de Natanz, si celles-ci ont pour unique fonction de produire du combustible destiné à des réacteurs nucléaires, comme l’affirme l’Iran. L’Iran n’a aucune centrale nucléaire susceptible d’utiliser le combustible qu’il dit vouloir produire. Il n’en possède qu’une seule, en cours de construction, dont le combustible sera, par accord, fourni par la Russie pendant dix ans. La Russie a offert de fournir le combustible pendant la durée de vie du réacteur, lequel ne peut fonctionner en toute sûreté qu’avec du combustible russe. L’Iran n’a aucune licence pour fabriquer ce combustible par ses propres moyens et cela ne correspond à aucun argument d’ordre rationnel et économique. Nous avons proposé à l’Iran de coopérer afin qu’il ait des garanties d’approvisionnement en cas de problème avec ses fournisseurs. Trente et un pays dans le monde ont des centrales nucléaires, mais la grande majorité de ceux-ci n’ont pas développé une industrie du cycle du combustible, démontrant ainsi que ces capacités ne sont pas critiques pour développer une industrie nucléaire civile.

Nous avons poursuivi ces négociations de bonne foi. Cependant, de même qu’il a enfreint l’accord de Paris en reprenant les activités qui avaient été suspendues, l’Iran a rejeté, sans même les avoir étudiées sérieusement, les propositions, détaillées, d’accord à long terme que nous avions présentées le mois dernier. Il s’agissait des idées les plus ambitieuses, dans le domaine des relations entre l’Iran et l’Europe, qui aient été émises depuis la révolution iranienne de 1979, idées qui auraient défini les bases de rapports nouveaux reposant sur la coopération.

Au début de la semaine, à New York, dans le cadre des Nations unies, nous avons, publiquement et en privé, réaffirmé notre volonté de travailler avec l’Iran, dans les domaines politique, économique, scientifique et technologique, et notre disposition à explorer les moyens de poursuivre les négociations. Nous avons délibérément choisi d’éviter tout commentaire public susceptible d’accroître les tensions, en dépit de la violation par l’Iran de l’accord de Paris. Mais, dans son discours à l’Assemblée générale le 17 septembre, le président Ahmadinejad n’a montré aucune flexibilité, parlant d’"apartheid nucléaire" et insistant sur l’exercice par l’Iran de ses droits de développer la technologie du cycle du combustible, sans tenir aucun compte des préoccupations de la communauté internationale.

Les projecteurs sont maintenant sur le conseil des gouverneurs de l’AIEA, à Vienne, qui doit répondre. Le dernier rapport de Mohammed ElBaradei conclut que, "après deux ans et demi d’inspections et d’investigations intensives, la pleine transparence de la part de l’Iran est indispensable mais [qu’]elle se fait attendre". Si l’Iran persévère dans la voie qu’il suit aujourd’hui, les risques de prolifération sont trop élevés. Nous espérons que tous les membres de la communauté internationale resteront unis. Il nous appartient collectivement de relever le défi.

- Philippe Douste-Blazy, ministre français des affaires étrangères.
- Joschka Fischer, ministre allemand des affaires étrangères.
- Javier Solana, haut représentant pour la politique étrangère de l’Union européenne.
- Jack Straw, ministre britannique des affaires étrangères.