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7 jours en Iran : 3-Au commencement était Aradan...
25.03.2006

Vincent Hugeux, l’envoyé spécial de l’Express en Iran, a eu l’idée de raconter la vie en Iran sous la forme de lettres écrites au cours de son périple. Lettre n°3 : Cousines, cousines ? (...où sont femmes, avec leurs gestes pleins de charmes ? où sont femmes ? les femmes, les femmes ? - apparemment Patrick Juvet était aussi originaire d'Aradan !)



Quand ton regard scrute en vain l’eau de la rivière, remonte à la source. Proverbe persan ? Non, maxime maison. Dans l’espoir, sans doute vain, de percer l’énigme Mahmoud Ahmadinejad, j’ai choisi ce jeudi d’accomplir le pèlerinage jusqu’au village natal du président venu d’ailleurs. D’ailleurs, mais pas de nulle part. La bourgade, assoupie à 125 km à l’est de Téhéran, en lisière du désert, se nomme Aradan. La providence veillant à tout, c’est un enfant du pays, imprimeur de son état, qui me conduit à tombeau ouvert sur le traces de son illustre compatriote.

Voilà donc mon guide, très fier de sa berline japonaise, lancé à 200 à l’heure sur une route tantôt rectiligne, tantôt sinueuse, slalomant entre les camions poussifs, les autocars bondés et les antiques Peykan made in Iran, voitures austères, voraces et increvables. Bienvenue à Aradan, ses 10 000 âmes, ses champs d’orge, ses serres, ses maisons de briques ou de torchis. Et sa parentèle présidentielle.

A l’entrée de la rue du Télégraphe, nous sonnons chez Farhad, cousin germain de Mahmoud. Mauvaise pioche. Un visage las à la tignasse ébouriffée émerge d’une fenêtre à l’étage. Malade, le maître de céans faisait la sieste. Et il en a marre des visites impromptues que lui vaut son pedigree. Par chance, un prof à la retraite, qui passait par là, se charge fort aimablement de la visite guidée. Voici le lopin en friche que la grand-mère de Mahmoud a légué à ses parents. Puis, au n° 85, la maison où le futur président vit le jour. Nul bruit derrière le portail métallique, théâtre d’une lutte sans merci entre la corrosion et la peinture antirouille : cédé depuis des lustres, le logis est désert.

Sur le chemin du retour, nous croisons hadj Ali, au guidon de sa Takro 70, vélomoteur d’époque ou peu s’en faut. Loquace, théâtral et dur de la feuille, cet autre cousin - par alliance - dit avec des mots simples la fierté qu’inspire à tous ici le destin de celui qui, encore bambin, quitta Aradan pour Téhéran, dans le sillage de parents pauvres et pieux. Le père deviendra forgeron, inculquant à sa descendance un sens de la famille que jamais Mahmoud n’a renié : à peine élu, il a nommé son frère aîné Davoud au poste « d’inspecteur spécial ».

Avant d’enfourcher sa monture pour rejoindre son épicerie, le vieil Ali raconte comment, en cette nuit bénie de juin 2005, lorsque la victoire électorale fut acquise, on fit la fête jusque 2 heures du matin. Lui avait alors pioché dans son stock de bonbons et de jus de fruits pour en régaler les gamins du quartier. Sous les voûtes du petit marché voisin, un vieux boutiquier nuance ces souvenirs euphoriques. « Les affaires sont en panne, lâche-t-il. Les gens n’ont pas d’argent. Ahmadinejad est un homme honnête. Mais avec ou sans lui, rien ne changera tant que les mollahs tiendront les commandes. »

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En décembre 2005, Vincent Hugeux (grand reporter au service Monde et président de la Société des rédacteurs de L'Express) a reçu le trophée Presse écrite du 12e Prix Bayeux des Correspondants de guerre. Hugeux a été distingué pour son reportage « Ouganda, l'enfance massacrée ».

Le Prix Bayeux vise à rendre hommage aux reporters qui exercent leur métier dans des conditions parfois périlleuses pour assurer une information libre et démocratique.


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