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7 jours en Iran : 1-Tout feu tout flamme
23.03.2006

Vincent Hugeux, l’envoyé spécial de l’Express en Iran, a eu l’idée de raconter la vie en Iran sous la forme de lettres écrites au cours de son périple. Lettre n°1 : La Fête est finie...



Ca, c’était du gros calibre… Les vitres de ce café cosy de Téhéran en vibrent encore. L’US Air Force aurait-elle entrepris de pilonner sans préavis l’Iran, ce pilier de « l’axe du Mal » si cher à George Bush ? Nullement. L’explosion n’a d’autre origine qu’un pétard aussi sonore qu’inoffensif. Même topo dans ce square des quartiers est de la capitale, où une bande d’ados rigolards laisse dans son sillage un vacarme fumant. Sans émouvoir pour autant les deux policiers en treillis affectés à la surveillance de la modeste maison du président ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad.

Qu’annonce donc un tel boucan ? Très simple : l’arrivée de Norouz, la nouvelle année persane. Il faut voir là l’avatar détonant d’une tradition millénaire. Tout à leur fièvre du mardi soir, nos artilleurs en herbes savent-ils seulement qu’ils perpétuent ainsi les rites des adeptes du zoroastrisme, adorateurs du feu ? Dans une version plus classique, l’usage, très en vogue aussi en terre kurde, veut que l’on saute par-dessus les flammes purificatrices d’un brasier.

Au lendemain de la Révolution de 1979, les mollahs tombeurs du Chah ont banni ces pratiques préislamiques. Paganisme et superstition. Mais au fil des ans, le dogme s’est émoussé. Les empereurs perses et les cultes ancestraux ont retrouvé droit de cité. D’autant que le régime a bien besoin de ce glorieux passé et du ciment patriotique pour ressouder les rangs d’un peuple fier et désabusé. Les pétarades sont désormais tolérées, mais à l’iranienne. La frontière entre le licite et l’illicite reste donc floue. Si la radio-télévision invite les fêtards à la retenue, c’est bien entendu pour éviter que les dommages collatéraux des feux d’artifices ne garnissent les salles des urgences des hôpitaux. Mais aussi par crainte de débordements. Sait-on jamais ? Et si quelques esprits rebelles profitaient de l’occasion pour exprimer le dépit que leur inspire la rigueur théocratique en vigueur ? Victimes d’un paradoxal… couvre-feu, les motards doivent laisser aujourd’hui leur monture au garage. Celles et ceux qui franchiraient ce soir les lignes rouges, dont nul au demeurant ne connaît le tracé, pourraient passer à l’ombre les vacances du Nouvel An.

Dans l’Iran de Zoroastre, de Khomeiny et de ses héritiers, chacun court le risque de se brûler les ailes. Le taxi qui, au cœur de la nuit, conduit jusqu’au petit hôtel du centre-ville le passager cueilli à l’aéroport de Téhéran-Mehrabad grille placidement les feux tricolores balisant des avenues désertes. Et à l’orée de l’année 1385 - selon le calendrier local, l’inflexible Ahmadinejad se plaît sur le front diplomatique à jouer avec le feu. Fut-il nucléaire.

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En décembre 2005, Vincent Hugeux (grand reporter au service Monde et président de la Société des rédacteurs de L'Express) a reçu le trophée Presse écrite du 12e Prix Bayeux des Correspondants de guerre. Hugeux a été distingué pour son reportage « Ouganda, l'enfance massacrée ».

Le Prix Bayeux vise à rendre hommage aux reporters qui exercent leur métier dans des conditions parfois périlleuses pour assurer une information libre et démocratique.


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