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Iran : Le Prince qui refusa le Néant
06.01.2011

Soixante ans après le suicide à Paris de Sadeq Hedayat, le plus grand romancier iranien du XXème siècle, le Prince Ali-Réza Pahlavi, deuxième du nom, vient de se donner la mort à Boston à l’âge de 44 ans. Malgré la distance qui sépare ces deux drames dans le temps et dans l’espace, leur cause est commune et reste une constante dans la culture iranienne postislamique.

par Babak Khandani



Il y a 1375 ans de cela, l’une des plus belles civilisations qu’a connue la Terre s’effondrait sous les sabots des cavaliers de l’armée du Néant. D’années en années, de décennies en décennies, de siècles en siècles, les Iraniens, incrédules, attendaient le dénouement de ce qu’ils pensaient n’être qu’une mauvaise farce du Ciel. Ne voyant plus la fin du cauchemar, les réactions furent variées : la colère héroïque de Ferdowsi, la nostalgie éclatante de Nézami, le flegmatisme scientifique d’Avicenne, le nihilisme cynique de Khayyâm, l’oubli par l’ivresse de Hafez et le désespoir romantique de Hedayat. Le Prince Ali-Réza Pahlavi s’inspira sans doute de ce dernier.

En ce début du vingtième siècle, Sadeq Hedayat était un témoin impuissant de l’état de ruine de la société iranienne. Très jeune, il fut frappé d’un profond sentiment islamophobe qui rend aujourd’hui un bon nombre de ses écrits non publiables en France, encore moins en Iran où il n’est toléré que dans les apparences. Dans l’euphorie de la dés-islamisation de l’Iran des années 30 entrepris par Réza Shah, Hedayat partit en Inde pour étudier le vieux persan (le Pehlevi) chez les Parsis, ces Zoroastriens qui fuirent les persécutions religieuses pour se réfugier dans le Gujarat. A Bombay, il s’attaqua à la traduction en persan de l’épopée du Grand Roi Sassanide, Ardéshir Ier, et plus tard, dans les années 40, à d’autres textes philosophiques traitant du Mazdéisme.

Après l’invasion de son pays en 1941 par les alliés, Hedayat sympathisa pendant une courte période avec les communistes, mais la déception arriva rapidement. La sournoiserie et l’imposture ambiantes provoquaient chez lui une forte réaction de dégoût qui l’entraîna petit à petit dans les abîmes du désespoir. Très tôt, il comprit que derrière le décor d’espace de liberté planté par les forces occupantes, se cachaient des staliniens et des islamistes qui se distribuaient les rôles de la scène politique. Quand, en 1946, les soviétiques exigeaient la sécession de la province d’Azerbaïdjan, le parti communiste Toudeh les soutenait. Quand, à la même année, l’intellectuel Kasravi, ancien Mollah devenu anti-islamique, se faisait assassiner sur les marches du Palais de Justice, c’est toute cette classe politique factice qui jubilait et se félicitait. Il prit alors ses distances avec ceux qui d’évidence ne partageaient pas ses utopies d’un Iran libéré de treize siècles de servitude. Hedayat finit par s’exiler à Paris et peu de temps après le triomphe du Dr Mossadegh, chef de file des Islamistes à apparence civilisée, il se suicida.

Pour l’Iran, l’Histoire se répète et reste à chaque fois aussi tragique.

Comme Hedayat, le Prince Ali-Réza Pahlavi étudia le vieux persan afin de savoir lire les textes préislamiques dans leur langue d’origine. Ces écrits traitent essentiellement de la pensée Zoroastrienne qui place le Bien et le Mal au centre de gravité de la vie de l’Homme : en choisissant l’un ou l’autre, l’Homme décide s’il existe ou non.

Pour le Mazdéen, seul le Bien existe, le Mal n’est que l’absence du Bien : le vide n’existe pas, il n’est que l’absence de la matière. Sur la même logique, la mort est l’absence de la vie ; la maladie, l’absence de la santé ; la laideur, l’absence de la beauté… Le choix du Bien est donc une option d’existence, et le Mal, celle du néant. Mais alors, se donner la mort ne serait-il pas le plus grand des pêchés ?

Pour le guerrier samouraï, se faire prisonnier constituait une humiliation. Son code d’honneur lui exigeait de se donner la mort s’il était vaincu et n’avait plus la possibilité d’échapper à l’ennemi. Loin d’être un acte lâche, le Seppuku (le Hara-kiri) était et reste la preuve suprême de bravoure du soldat.

Comme dans la célèbre pièce de Ionesco où tout le monde finit par devenir rhinocéros, Ali-Réza Pahlavi assistait tristement au triomphe de la médiocrité de la bourgeoisie islamique. Il voyait le rang des « bourgeollahs » s’agrandir par tous ceux qui, soit par l’appât du gain, soit par mimétisme ou tout simplement par affinité congénitale, apportaient de l’eau au moulin des islamistes en donnant du crédit aux artistes sans talent, aux intellectuels sans idée, aux opposants sans combat. Il craignait d’être amené à soutenir des tortionnaires promus philosophes, des khomeynistes primés Nobel, des enfants de spéculateurs immobiliers proclamés socialistes. Il aurait peut-être fini par porter le brassard vert de Moussavi et chanter à la gloire de la révolution islamique.

A l’instar de Hedayat, le Prince Ali-Réza Pahlavi refusa d’être aspiré par le trou noir du Califat Chiite de Téhéran qui use de la magie des média pour berner le monde en leur faisant croire que sous la barbe et le voile se cache une quelconque culture digne d’intérêt. La pensée dominante exige de tous à présenter le Bien comme du Mal, le Mal comme du Bien ; le laid comme du beau, le stupide comme du génial, le médiocre comme du talentueux.

Celui qui refuse d’obéir au dictat de cet ordre du Néant, est injurié, calomnié, traîné dans la boue, surtout s’il est le fils d’un autre « fou » qui osa jadis dire « non » à plus de treize siècles de sortilège.

Méprisant d’être le prisonnier de cette arithmétique absurde dans laquelle pour vivre, il est impératif de servir le Néant, Ali-Réza Pahlavi décida de suivre l’exemple du guerrier samouraï. Hélas, à mon sens, le constat d’échec était hâtif.

Ne pouvant plus être témoin de l’agonie du monde, Stefan Zweig se donnait la mort le 22 février 1942. En patientant encore un an, il aurait assisté à l’incroyable retournement de la situation sur tous les fronts. Sadeq Hedayt, lui aussi, aurait pu voir le renversement (en 1953) des faux-nationalistes/vrais-islamistes qu’étaient Mossadegh et ses compagnons.

L’Iran vient de perdre un vaillant soldat. Sa mémoire restera à jamais gravée dans nos cœurs.


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