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Nouvel Obs. | Pétrole : Une sorte de choc mou
04.01.2008

Interview de Jean-François Gruson, directeur adjoint des études économiques à l’Institut français du pétrole (IFP) par Jean-Marie Pottier (Nouvel Observateur)



L’Agence internationale de l’énergie (AIE) qualifie le seuil de 100 dollars atteint par le baril de brut mercredi de « symbolique », et pas forcément révélateur d’une tendance lourde. Partagez-vous cet avis ? Peut-on parler de « troisième choc pétrolier » ?

Il est vrai que le seuil des 100 dollars, en soi, est symbolique : le prochain symbole sera d’ailleurs le passage au-dessus de ce seuil du baril de Brent, qui a approché les 98 dollars. En pratique, passer de 98 à 105 dollars le baril ne change pas grand-chose.

La vraie tendance de fond, elle, se manifeste depuis 2004 : c’est une augmentation continue du prix du brut, même si elle est volatile du fait d’éléments climatiques et géopolitiques, d’annonces sur les stocks, de la spéculation… Traditionnellement, il y a une saisonnalité, avec un pic au cours de l’été et une accalmie en fin d’hiver : or, on a bien eu le pic à l’été 2007 (le baril est remonté autour des 80 dollars après être descendu sous les 60 en début d’année), mais pas de baisse derrière.

Pourtant, les stocks ne sont aujourd’hui pas spécialement plus bas. En revanche, la hausse est très bien corrélée à la baisse du dollar vis-à-vis de l’euro, avec une évolution presque parallèle. De plus, en période de ralentissement de la croissance aux Etats-Unis, le pétrole, comme l’or, constitue une valeur-refuge.

On assiste en fait à une sorte de choc mou, avec une pente plus ou moins forte selon la période de l’année. Un vrai choc pétrolier, c’est une crise brutale avec un impact réel : or, on n’a même pas eu de choc avec l’intervention en Irak, contrairement à 1973 [guerre du Kippour, ndlr] et à 1979 [« révolution islamique » en Iran et guerre Iran-Irak, ndlr], où les prix avaient quadruplé.

Quel est l’impact de cette hausse sur les producteurs et les consommateurs ?

A l’époque des deux premiers chocs, l’économie dépendait beaucoup plus du pétrole. Aujourd’hui elle y est moins sensible [la "facture pétrolière" française en pourcentage du PIB a été divisée par deux depuis 1980, ndlr]. Le fait que la hausse soit progressive la rend aussi plus « gérable », en laissant plus de temps aux acteurs pour se réorganiser.

L’impact est plutôt indirect dans l’industrie, qui consomme assez peu de pétrole. Il se fait sentir à travers l’indexation des prix du gaz naturel sur le pétrole, qui pénalise les acteurs qui en consomment ou en utilisent pour produire de l’électricité. Cela avantage les acteurs qui en produisent autrement, comme EDF.

Les acteurs du secteur des transports subissent eux une hausse de leurs coûts. Les compagnies aériennes, par exemple, essayent de l’anticiper en prenant des « positions » à long terme sur les marchés, comme Air France. Cela évite un impact trop fort, mais la tendance reste, comme le prouvent les hausses des surcharges carburant.

Toujours dans le secteur aérien, cette hausse a en revanche un effet positif : elle incite les constructeurs aéronautiques à aller de l’avant sur de nouvelles technologies moins consommatrices.

En ce qui concerne les consommateurs, ils peuvent changer de voiture ou optimiser leur façon de se chauffer, mais leur marge de manœuvre à court terme n’est pas très grande. Cette hausse peut donc rogner sur leur pouvoir d’achat, car les transports, notamment, font partie des dépenses incompressibles. Elle frappera d’autant plus le salarié « moyen » que les hausses de pouvoir d’achat reposent actuellement surtout sur les revenus hors salaires, les revenus mobiliers par exemple.

Claudia Kemfert, experte de l’institut de conjoncture allemand DIW, juge dans le Berliner Zeitung que le prix du baril pourrait doubler dans dix ans. Est-ce possible ? Cela nous ferait-il entrer dans l’ère de « l’après-pétrole » ?

Cela est possible : le baril était à 30 dollars il y a quatre ans, et se situe aujourd’hui entre 90 et 110 dollars. Donc, d’ici cinq à dix ans, une hausse entre 150 et 200 dollars ne constituerait pas une rupture. Elle refléterait le fait que tous les éléments de tension (une croissance mondiale forte, une poursuite de la hausse de la consommation pétrolière, une hausse de la production des pays de l’Opep limitée, des tensions géopolitiques ponctuelles…) poursuivent leur ascension.

Mais, justement, le fait que le prix du baril monte montre qu’on est toujours dans l’ère du pétrole : si le prix monte, c’est parce que la consommation augmente. L’ère de l’après-pétrole sera marquée par une baisse du prix, ce qui avait été le cas pour le charbon quand il avait été supplanté par le pétrole.

Pour l’instant, le problème général est que la croissance concerne une partie plus importante de la planète, ce qui pose un problème de ressources tous azimuts, aussi bien pour le pétrole que pour les matériaux ou les ressources alimentaires.

Or, apporter à 6 ou 7 milliards de personnes ce qui ne concerne qu’1 milliard sans appauvrissement nécessitera des adaptations (par exemple se déplacer différemment, dans des voitures largement électrifiées et qui iront moins vite) qui ne passent pas encore au niveau du consommateur lambda.

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