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26 octore 2003 : Lettre ouverte à Monsieur Dominique de Villepin
23.10.2003

Dans la tribune que vous avez publiée dans Le Figaro du 23 octobre 2003, Dominique de Villepin déclarait non sans fierté :

« Nous l’avons fait pour l’Iran, avec la conviction forte que ce pays doit exercer des responsabilités majeures dans la région. Le rétablissement de la confiance doit permettre à l’Iran de devenir un véritable pôle de développement et de stabilité ... »



Monsieur Le Ministre des Affaires Etrangères, Monsieur Dominique de Villepin

Monsieur Le Ministre, si votre voyage en Iran est perçu par l’opinion française comme une victoire de la diplomatie européenne, il est hélas ressenti par l’opinion iranienne comme l’aveu d’un soutien camouflé mais inconditionnel de l’Etat Français à la République Islamique. La déception est d’autant plus lourde pour la jeunesse iranienne que la France évoque le siècle des lumières et ses philosophes qui ont façonné la démocratie. Le peuple iranien se souvient aussi du juste combat des résistants français qui ont su par leurs efforts effacer l’affront de l’occupation, reléguant à l’oubli l’erreur monumentale et fatale d’un Daladier.

Les iraniens connaissent bien l’histoire de la France et c’est pourquoi ce voyage et les propos que vous avez tenus depuis sont ressentis par la jeunesse meurtrie de l’Iran comme un affront.

Dans la tribune que vous avez publiée dans Le Figaro du 23 octobre 2003, vous déclarez non sans fierté : « Nous l’avons fait pour l’Iran, avec la conviction forte que ce pays doit exercer des responsabilités majeures dans la région. Le rétablissement de la confiance doit permettre à l’Iran de devenir un véritable pôle de développement et de stabilité. Son histoire, sa situation géographique, sa population, ses richesses naturelles l’y prédisposent ».

« Un véritable pôle de développement et de stabilité », c’est en ces termes élogieux que vous évoquez avec candeur un état qui compte parmi ses conseillers diplomatiques Vahid Gordji et Anis Naccache, l’un fut le maître d’œuvre des sanglants attentats de Paris en 1986 et l’autre, le terroriste libanais qui a tué un civil et un policier français lors de l’attentat manqué en 1980 contre l’ancien premier ministre iranien Shahpur Bakhtiar. Et rappelons-nous Michel Seurat, cet autre innocente victime des prises d’otages de la République Islamique au Liban !

Monsieur Le Ministre, votre vœu de développement et de stabilité s’adresse à un état qui se trouve parmi les dix états les plus répressifs à l’égard de la presse, un état qui a fait enlever et égorger de nombreux opposants, un état coupable d’emprisonnements arbitraires à l’encontre des participants à des manifestations hostiles au régime, un état qui soutient ouvertement le terrorisme, hypothéquant ainsi très sérieusement toute éventualité d’une paix durable au Moyen-Orient.

Monsieur Le Ministre, la République Islamique n’a pas attendu le feu vert de la diplomatie française pour « exercer des responsabilités majeures dans la région ».

La confiance que vous accordez à cet état qui ne respecte ni les droits de l’homme, ni le droit international, conforte les iraniens dans l’idée que l’Etat Français entend montrer un soutien sans faille et jusqu’au-boutiste à la République Islamique.

Les iraniens protestent, manifestent ou boycottent les élections pour sensibiliser la diplomatie française à la dégradation alarmante de la situation politique en Iran. Les membres de la mission diplomatique française sont témoins de la détresse et des souffrances de la société iranienne et pourtant il est force de constater que la France estime que la République Islamique est l’avenir de l’Iran. Pire, la diplomatie française se fait l’avocat d’un pacte de stabilité pour la République Islamique.

Dans la même tribune vous déclarez : « Les principes que nous avons mis en oeuvre dans le cas iranien - unité des Européens, respect de notre partenaire et dialogue sans complaisance avec lui, lucidité sur les enjeux, fermeté sur les objectifs - doivent continuer à inspirer l’Europe et ses alliés dans l’ensemble de la région. Ils n’apporteront pas de solution immédiate. Mais ils permettront de passer de la crise à la confiance, du mutisme au dialogue. Comme pour l’Iran, ce serait une étape décisive... »

La véritable Crise, Monsieur Le Ministre, est l’incapacité de la France à admettre la vraie nature de la République Islamique. Les iraniens quant à eux, l’ont déjà dénoncée le 28 Février dernier par un boycott à plus de 93% des dernières élections islamiques en Iran. Ils entendent recourir de nouveau à cette abstention en Février 2004 pour sommer les alliés européens de la République Islamique de choisir leur camp.

La véritable Crise, Monsieur Le Ministre, est l’incapacité de la France à s’engager aux côtés des iraniens pour les aider à établir une démocratie laïque en Iran.

La Confiance et le Dialogue que vous avez établis avec ces ennemis du peuple iranien créent un véritable malaise parmi ces 93% qui ne voient aucun avenir pour l’Iran avec le régime actuel. 93 % d’abstention est le signe que même les proches du régime en souhaitent la disparition. Leur amertume nourrit leur détermination et l’histoire récente de la France nous enseigne sans ambiguïté que les peuples qui ont souffert le plus durement ont la mémoire la plus longue.

Vous avez évoqué avec justesse « la lucidité sur les enjeux » en Iran. Nous sommes conscients des enjeux de l’Iran, c’est pourquoi nous demandons à la France de s’engager au côté du peuple iranien. La jeunesse iranienne qui constitue 70% de la société actuelle juge avec sévérité tout soutien à ce régime qui piétine sa dignité et détruit son avenir. La République Islamique est en déclin, elle a moins de 7% de légitimité et tôt ou tard elle disparaîtra : Qu’adviendra-t-il alors des relations diplomatiques françaises avec l’Iran ?

Nous prions les hommes d’état français d’adopter une politique étrangère plus conforme aux justes aspirations de la jeunesse iranienne, sachant qu’une telle politique d’ouverture sera perçue comme très bénéfique pour l’avenir des relations diplomatiques entre la France et un Iran laïc et démocratique.

L’avenir de l’Iran est sa jeunesse. Nous demandons à la diplomatie Française d’engager le peuple français au côté de la jeunesse iranienne.


Très respectueusement, Kavéh Mohséni

  • Porte-parole de 1999 à 2005 de la Section française du
  • Comité de Coordination du Mouvement Estudiantin pour la Démocratie en Iran