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Libération | Fréderic Encel : Iran, une bombe hautement « proliférante »
27.09.2007

L’enrichissement d’uranium par Téhéran constitue-t-il une menace pour la France et l’Europe ?



Parmi les décisionnaires iraniens, il en est qui sont mus par des objectifs eschatologiques où la lutte religieuse est l’impératif subordonnant tous les autres. Une lutte incluant non seulement la destruction d’Israël mais aussi celle des valeurs du monde des « croisés », autrement dit des chrétiens, comme l’illustrent des manuels d’enseignement iraniens.

Hélas, pour certains observateurs, un Iran nucléarisé ne concernerait au fond que les adversaires désignés du régime des mollahs. Plus explicitement, il s’agirait d’un problème irano-israélien ou irano-arabe à régler entre des protagonistes locaux. Dans cette logique rassurante, les Européens et les autres nations en dehors du Moyen-Orient n’auraient guère à intervenir dans des contentieux ne les regardant pas.

Or rien n’est plus erroné qu’une telle démarche. Par méconnaissance des enjeux géopolitiques, mauvaise foi ou complaisance vis-à-vis de Téhéran, ceux qui militent pour le renoncement à toute exigence quant à l’interruption de l’enrichissement d’uranium par l’Iran rendent un bien mauvais service à la cause de la paix, pour plusieurs raisons.

Autour de l’Iran, plusieurs Etats solidement ancrés à l’Occident - et excellents fournisseurs et clients de l’Union européenne - attendent de la « troïka » (formée par l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France) qu’elle exerce des pressions sur le gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad à la mesure de sa puissance économique. Clairement, si l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Pakistan ou encore, et surtout, la Turquie, devaient être déçus par une Union incapable de faire entendre sa voix sur leur cauchemar commun, à savoir la bombe iranienne, il y a fort à parier qu’ils quitteraient le giron occidental.

Potentiellement désastreuse sur le plan commercial, une telle perspective le serait tout autant au niveau politique : Islamabad rejoignant le giron « protecteur » chinois, Riyad et les pétromonarchies du Golfe se cristallisant sur une ligne intra-islamique, et Ankara abandonnant définitivement le pôle d’attraction européen pour rejoindre… la Russie.

En second lieu - et ce point est plus fondamental encore -, si Téhéran obtenait la bombe, celle-ci serait hautement « proliférante ». Alors que la Corée du Nord vient officiellement d’abandonner son programme d’enrichissement d’uranium au seuil de l’acquisition de la bombe, l’Iran apparaît comme un véritable verrou ; vraisemblablement le dernier quant à la non-prolifération. Qu’on en juge plutôt… Déjà en décembre 2006 - sans précédent -, le Conseil de coopération du Golfe (regroupant les sept pétromonarchies arabes de la péninsule) annonçait le lancement d’un programme de recherches nucléaire.

Quelques mois auparavant, l’Egypte avait annoncé son intérêt pour le « nucléaire civil », tandis que le Pakistan voisin indiquait vouloir développer ses vecteurs face « à la menace grandissante du nucléaire iranien »… Parce que arabe, monarchique, sunnite et rivale pétrolière, l’Arabie Saoudite proliférera grâce à ses moyens financiers et ses ingénieurs pakistanais en cas d’obtention de la bombe par l’Iran perse, antimonarchique et chiite. Parce que rivale de l’Iran dans le Caucase et sur la question kurde, la Turquie nationaliste proliférera. Parce que rival religieux (sunnite) et politique (Baloutchistan), le Pakistan - déjà possesseur de la technologie nucléaire militaire - accroîtra ses capacités…

Comment les Européens peuvent-ils imaginer pouvoir assurer leur sécurité à moyen et long terme dans une telle course aux armes de destruction massive au Moyen-Orient ?

En troisième lieu, la géographie est têtue. Non seulement le risque de conflagration régionale qu’impliquerait la bombe iranienne - et la prolifération qui s’ensuivrait - concernerait au premier chef les intérêts européens vitaux (pétrole, déstabilisation interne, etc.), mais encore plusieurs Etats du sud-est de l’Union se situeraient immédiatement dans le rayon d’action des missiles iraniens Shihab-3 ! Enfin, quid de la prolifération non étatique ?

Déjà convaincue d’avoir trempé dans de nombreux actes terroristes dans le monde (Liban, France, Argentine, etc.), la république islamique d’Iran pourrait se doter d’un moyen de coercition supplémentaire, notamment contre l’Europe, en offrant des « bombes sales » à des groupes terroristes. La guerre de l’été 2006 entre Israël et le Hezbollah a donné un aperçu des capacités balistiques du mouvement chiite pro-iranien libanais ; la détermination criminelle de groupes tels que les talibans ou Al-Qaeda ayant déjà offert par ailleurs des perspectives inquiétantes.

Au final, faire croire que la bombe aux mains de l’Iran du tandem Khamenei-Ahmadinejad ne concernerait que Washington, Jérusalem et une ou deux capitales arabes sunnites relève de l’irresponsabilité. Tant en raison d’une déstabilisation régionale inévitable que d’un risque majeur de prolifération atomique, la perspective d’une nucléarisation de l’Iran doit impérativement être rejetée par la communauté des nations, qui, en l’occurrence, joue dans ce dossier son avenir.

Pourvu que la chancelière Angela Merkel, le président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre Gordon Brown demeurent convaincus du bien-fondé des sanctions économiques qui, déjà, semblent porter des fruits prometteurs au sein du régime des mollahs…

© WWW.IRAN-RESIST.ORG

Frédéric Encel

Géopolitologue et essayiste français. Il est actuellement professeur de relations internationales à l’École supérieure de gestion, maître de séminaires au centre de préparation à l’ENA de l’institut d’études politiques de Rennes, et Directeur de recherches à l’Institut Français de Géopolitique. www.fredericencel.org

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