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Le Nouvel Observateur | Margerie, les mains dans le cambouis
01.04.2007

Commissions occultes en Iran, violation de l’embargo pétrolier en Irak, le premier groupe pétrolier est la cible du juge Philippe Courroye. Mais est-il un cas isolé ?

Un passionnant article par Airy Routier



On peut toujours s’en tenir aux faits bruts : directeur général de Total, Christophe de Margerie a été mis en examen pour « corruption d’agents publics étrangers » et « abus de biens sociaux », au terme de trente heures de garde à vue, par le juge d’instruction Philippe Courroye. Celui-ci l’avait déjà mis en examen, en octobre 2006, alors que Margerie n’était encore que numéro deux du groupe, pour avoir violé l’embargo de l’ONU sur l’Irak, dans le cadre de l’opération Pétrole contre Nourriture. Il est reproché cette fois-ci à « Big Moustache » (c’est le surnom de Margerie), d’avoir autorisé, en 1997 pour l’obtention d’un contrat, le versement de commissions occultes à des proches de Mehdi Rafsandjani, fils de l’ancien prési-dent iranien Hachemi Rafsandjani. Ce contrat signé avec la société pétrolière nationale iranienne Nioc a permis à Total de participer à l’exploitation du gigantesque champ gazier offshore de South Pars, aux côtés des entreprises russe Gazprom et malaisienne Petronas.

Les versements auraient continué après 2000, date de l’entrée en vigueur, dans le droit français, de la convention OCDE réprimant la corruption dans le commerce international. Des documents ont été saisis, à Londres, dans les bureaux d’un avocat iranien, Abbas Yazdi, qui dirigeait une filiale de la Nioc et contrôlait des sociétés écrans basées dans les Antilles néerlandaises. Selon ces documents, Total aurait versé 30 millions d’euros au fils Rafsandjani par l’intermédiaire d’une société de consultants, Baston Ltd, puis d’une fondation.

Ces éléments ont été découverts dans le cadre d’une enquête lancée en Norvège sur la compagnie nationale Statoil, qui a obtenu, à son tour, une licence d’exploitation du gisement de South Pars en contrepartie de pots-de-vin versés sur un compte ouvert au Crédit suisse First Boston, appartenant au même fils Rafsandjani. Figure au dossier français, le PV d’audition, par la police norvégienne, d’un ancien dirigeant de Statoil qui s’est déclaré « très choqué par l’implication de Total dans ce système ».

Pour sa défense, Christophe de Margerie souligne qu’aucun document n’était signé de sa main. Et que le contrat de rémunération d’intermédiaire avait été conclu avant la mise en oeuvre de la convention OCDE. Total, de son côté, affirme avoir agi « dans le respect des lois applicables », ce qui laisse entendre que certaines... ne le sont pas.

Au-delà de ces faits, il y a dans cette mise en cause brutale du patron de la plus grosse entreprise française, membre de la prestigieuse famille Taittinger, plusieurs éléments qui font de cette affaire un cas d’école,d’une part pour le bras de fer entre la justice et le monde politico-industriel, d’autre part pour la naïveté française dans la concurrence internationale.

Première curiosité | cette mise en examen est l’un des derniers actes du juge Courroye en tant que juge d’instruction, avant d’aller, dans les jours prochains, prendre le poste de procureur général de Nanterre. Courroye aurait-il voulu se venger de la décision du conseil d’administration de Total, qui a promu en février Margerie au poste de numéro un, en dépit de sa première mise en examen, signifiée après une garde à vue humiliante ? Il avait été baladé menottes dans le dos, à l’arrière d’une voiture de police lancée à grande vitesse, sans ceinture de sécurité... Bémol : le juge pouvait contraindre le patron de Total à démissionner, s’il lui avait confisqué son passeport ou interdit de voir ses collaborateurs. Or le contrôle judiciaire imposé à Margerie se limite à lui interdire de rencontrer les Rafsandjani, ce dont il se soucie comme de son premier noeud papillon : l’important est qu’il puisse continuer à diriger le groupe pétrolier. Une autre hypothèse circule donc : Courroye aurait « montré son sens des responsabilités ». Et aurait rattrapé l’erreur du parquet qui, dans l’intérêt supérieur du pays, n’aurait jamais dû le saisir et aurait dû ouvrir une simple enquête préliminaire. Parquet qui s’est d’ailleurs abstenu de toute réquisition. Cette affaire, on en prend le pari, sera vite enterrée.

Deuxième curiosité | aucune des bonnes âmes qui accablent Total - ou Airbus (voir ci-contre) - au nom des grands principes ne s’étonne que, signée par 36 pays, la convention OCDE ne soit pas appliquée par la plupart d’entre eux, à commencer par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ! Mieux : on a vu, il y a quinze jours, Tony Blair assumer l’enterrement d’une enquête sur une vaste corruption entre British Aerospace et l’Arabie Saoudite, au motif que les relations avec ce pays étaient « cruciales pour les intérêts de la nation » !

Troisième curiosité | Eva Joly, devenue conseillère du gouvernement norvégien, est à l’origine de la mise en cause de Total. Se souvient-on qu’elle avait instruit l’affaire Elf ? Et qu’elle avait alors été soupçonnée d’avoir été instrumentalisée par des forces hostiles aux intérêts pétroliers français ? Disqualifié par la révélation de ses pratiques de corruption, Elf avait fini par être victime d’une OPA de Total. Différence fondamentale, cependant, avec l’affaire Elf : les dirigeants de Total ne sont pas accusés, ni même soupçonnés de s’être enrichis aux dépens de leur entreprise !

« Margerie n’a fait que son job de pétrolier », explique un ministre influent qui replace ces affaires dans leur contexte. En 1997, la décision de Total de signer un accord d’exploitation de South Pars, gisement qui équivaut à la moitié de la consommation française, est reçue comme une gifle par les Américains, dont le congrès a voté une loi - la loi d’Amato - qui sanctionne tout pays acceptant de commercer avec l’Iran. Ils ne peuvent rien, officiellement, contre la compagnie française qui a pris soin, par anticipation, de vendre toutes ses activités aux Etats-Unis. Mais l’administration Bush et les services secrets vont se focaliser sur elle, notamment en finançant des ONG hostiles, abreuvées d’informations, en particulier sur la Birmanie, où Total aurait longtemps fermé les yeux sur le travail forcé imposé par l’armée sur son chantier de construction d’oléoduc. La colère américaine se portera tout particulièrement sur Christophe de Margerie, alors patron de l’exploration, qui a osé défier l’Oncle Sam. Selon nos informations, la décision aurait été prise, dès cette époque, de le sortir du jeu.

De là à penser que les informations reçues par le juge Courroye, tant sur l’affaire de l’Irak que de l’Iran, viennent indirectement de Washington, il y a un pas que certains décideurs français franchissent allègrement.

Qui vise Airbus ?

Le juge Philippe Courroye a reçu récemment des lettres de dénonciation sur les pratiques commerciales d’Airbus, mais il n’a pas jugé utile d’y donner suite. Les mêmes accusations viennent alors d’apparaître dans la presse. Notamment dans « l’Express » qui affirmait, la semaine dernière, que la DST avait eu connaissance de « l’existence, au sein de l’entreprise, d’un vaste système de rétrocommissions mis en place par l’un des cadres dirigeants du groupe », notamment lors de la vente de 40 Airbus A-380 à Emirates, la compagnie de Dubaï. « Libération » précisait que la corruption passait par les systèmes de couverture de change.

Ces informations ont suscité un démenti immédiat d’EADS et, fait plus rare, de la DST. Chez EADS, on fait valoir que toutes les procédures internes, sous le contrôle de la direction financière allemande, rendent pratiquement impossible la corruption. Y compris par le biais des couvertures de change, qui font l’objet d’appels d’offres permanents, même par internet. La vigilance est de mise : le groupe a refusé récemment de vendre 20 Airbus à la Libye, étant donné les conditions imposées.
S’agissant du Qatar, verser de l’argent à son émir pour obtenir un contrat est aussi sot que d’offrir un paquet de bonbons à un confiseur ! L’émir, en revanche, a apprécié le soutien de Jacques Chirac dans le différend sur les eaux territoriales (gorgées de pétrole) qui oppose le Qatar et Bahreïn ou celui de feu Jean-Luc Lagardère, lors du reformatage de la première chaîne arabe d’information, Al-Jazira. A quoi s’ajoute l’idée de disputer à Dubaï le rôle de plaque tournante aérienne de la région.

D’ou vient alors cette opération de dé-stabilisation d’une entreprise déjà en pleine tempête ? Des Américains ? D’un concurrent de Lagardère dans les médias, cherchant à déstabiliser Arnaud avant de lancer une OPA ? Les dirigeants d’EADS s’interrogent d’abord sur les rôles de Michel Mazens, renvoyé brutalement de la présidence de la Sofresa, un organisme public centralisant les ventes d’armes à l’export ; de Ziad Takieddine, un intermédiaire, spécialiste de la Libye qui réussit l’exploit d’être en même temps proche de Nicolas Sarkozy et d’Abdallah Sanoussi, accusé d’avoir placé la bombe lors de l’attentat contre le DC10 d’UTA ; et d’Alain Bauer, ancien grand maître du Grand Orient, qui fut longtemps le conseiller d’Arnaud Lagardère et de Noël Forgeard, prédécesseur de Louis Gallois à la tête d’EADS. Tous trois peuvent, à des degrés divers, se plaindre de la nouvelle direction d’EADS.

WWW.IRAN-RESIST.ORG

IRAN-RESIST | l’opération anti Airbus pourrait être d’origine Russe :
- EADS s’oppose à l’admission de la Russie à la direction du groupe
- (15 SEPTEMBRE 2006 | Presse russe : VEDOMOSTI | Source : Ria Novosti)

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