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Darfour : Khartoum s’offre la protection de Pékin
27.03.2007

Premier importateur du pétrole soudanais, la Chine soutient sans réserve le régime d’Omar El-Béchir, mis au ban de la communauté internationale. Ni la situation au Darfour ni les violations des droits de l’homme n’ont le moindre effet sur l’attitude des autorités chinoises.



Depuis les premières découvertes réalisées par l’américain Chevron au début des années 1980, le pétrole joue un rôle crucial dans la dynamique interne des conflits soudanais. Conscient de l’importance des gisements, le président de l’époque, Nemeiri, avait modifié les frontières des Etats du Sud afin de garantir au Nord un accès aux futurs profits générés par l’or noir. Cette nouvelle injustice poussa le Sud à se rebeller sous la bannière de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA). En 1983, la guerre civile embrasa le pays.

Cela conduisit Chevron à suspendre ses opérations en 1984, avant de se retirer complètement, en 1992. Le nouveau gouvernement islamiste, dirigé par le président Omar El-Béchir, cherchait alors ardemment des financements afin d’intensifier sa lutte contre la SPLA et de parrainer un audacieux projet d’islamisation du pays tout entier. Mais les compagnies intéressées par l’exploitation des ressources pétrolières du pays ne se bousculaient pas au portillon. De surcroît, les relations entre le Soudan et les Etats-Unis se sont rapidement dégradées. Les déclarations de soutien à l’Irak lors de la guerre du Golfe, les violations flagrantes des droits de l’homme et l’octroi de l’asile à des terroristes internationaux, dont Oussama Ben Laden, ont avivé les tensions entre les deux pays et conduit Washington à appliquer des sanctions économiques.

Sécuriser les régions riches en pétrole

En conséquence, le Soudan s’est retrouvé forcé de dépendre de petites compagnies inexpérimentées pour exploiter ses champs pétrolifères. Ce n’est qu’en 1995, avec l’arrivée de la China National Petroleum Corporation (CNPC) et de l’entreprise malaisienne Petronas, deux compagnies pétrolières publiques, qu’est réapparu parmi l’élite soudanaise l’espoir de se bâtir une fortune grâce à l’or noir. Trois ans plus tard, Talisman, la compagnie pétrolière phare du Canada, se lance dans le projet soudanais en dépit de risques politiques évidents. A la tête de la Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC), elle a contribué, avec ses partenaires asiatiques, au développement de l’exploitation pétrolière. L’absence de concurrence des grandes entreprises pétrolières et la possibilité de bénéfices élevés ont également attiré d’autres firmes occidentales de moindre envergure, comme Lundin (Suède) et OMV (Autriche).

Un oléoduc de 1 600 kilomètres reliant les champs pétrolifères du Sud à Port-Soudan, sur la mer Rouge, a rapidement été construit par les Chinois. Les exportations ont débuté en 1999. Khartoum a tiré les leçons du départ de Chevron. La protection des champs d’or noir est devenue essentielle pour le développement de l’industrie pétrolière et, par voie de conséquence, pour la survie du régime. Le président El-Béchir a donc fait appel à une tactique classique pour « sécuriser » les régions riches en pétrole. Dans le but d’attiser les tensions ethniques, il a fourni des armes aux tribus nomades arabes et leur a permis officieusement de piller et de détruire les communautés d’éleveurs tout le long de la frontière traditionnelle entre le Nord et le Sud, là où des gisements de pétrole avaient été découverts.

Bien que les rebelles du Sud eux-mêmes soient loin d’être des novices en matière de pillage de populations innocentes, ils ont aisément trouvé de nouvelles recrues. La stratégie gouvernementale du « diviser pour régner » a fini par créer des conflits locaux entre des groupes qui, au départ, étaient complètement étrangers à l’opposition idéologique entre le Nord et le Sud. Le pétrole alimente ainsi le cycle de violence.

Même au Darfour, il y a de l’or noir

Les revenus du pétrole permettent à Khartoum de renforcer ses capacités militaires en achetant des armes à la Russie et à la Chine, notamment des bombardiers Antonov et des hélicoptères de combat, utilisés pour raser les villages du Sud et garantir la circulation ininterrompue du pétrole. Cette stratégie de la terre brûlée, toutefois, n’a pas été sans conséquences. A la fin des années 1990, en Amérique du Nord et en Europe, les compagnies pétrolières internationales opérant au Soudan étaient considérées comme complices des déplacements massifs et du massacre de centaines de milliers de civils autour des champs pétrolifères, car elles fournissaient au gouvernement soudanais des revenus grâce auxquels ce dernier pouvait acheter de grandes quantités de matériel militaire. Les protestations organisées par des militants des droits de l’homme ainsi que la politique étrangère des Etats-Unis ont provoqué une chute des actions de Talisman et poussé la compagnie à quitter le Soudan en octobre 2002. Ces mêmes pressions ont conduit, moins de un an plus tard, les firmes européennes à désinvestir massivement.

Des entreprises d’Etat chinoise, malaisienne et indienne ont pris le relais, mettant la main sur l’industrie pétrolière soudanaise. Grâce aux investissements asiatiques, les revenus économiques de Khartoum sont restés intacts. La Chine, en particulier, domine l’industrie pétrolière au Soudan. En 2005, ce colosse économique en pleine croissance couvrait environ 7 % de ses besoins en pétrole grâce à l’or noir soudanais. Ironie de l’histoire, bien qu’elles aient abouti au retrait des compagnies pétrolières occidentales, les campagnes de désinvestissement n’ont pas réussi à affaiblir le gouvernement de Khartoum ni à modifier sa tactique militaire. Elles ont en effet laissé le champ libre à des entreprises asiatiques qui n’ont pas à se préoccuper de pressions de leurs opinions publiques en matière de droits de l’homme.

La signature de l’accord de paix global de janvier 2005 a fait naître un grand espoir au Soudan. Outre la coopération de Khartoum avec les Etats-Unis dans la guerre contre le terrorisme à la suite des événements du 11 septembre 2001, l’accord offrait la perspective d’une amélioration des relations avec l’Occident et, par conséquent, d’une augmentation des investissements dans l’industrie pétrolière soudanaise naissante. Cet optimisme a été de courte durée.

L’application de l’accord de paix connaît des problèmes persistants à propos de litiges frontaliers et du partage des revenus du pétrole, mais c’est surtout le conflit au Darfour qui isole le Soudan de l’Occident. A l’image de leurs homologues du Sud, les groupes rebelles de l’ouest du pays se livrent à une guerre contre le gouvernement en raison de leur profond sentiment de marginalisation. Le pétrole marque ce conflit de son empreinte, et le pays se voit une nouvelle fois privé d’une période de paix.

Actuellement, la seule production pétrolière au Darfour est celle de la CNPC, le long de la frontière du sud du Darfour et du Kordofan occidental, dans le « bloc 6 ». Bien que les niveaux de production de la CNPC – 40 000 barils par jour – ne représentent qu’une fraction de la production pétrolière du Soudan et que la plus grande partie de l’exploitation pétrolière soit effectuée dans le Sud traditionnel du pays par la GNPOC, la White Nile Petroleum Operating Company (WNPOC) et Petrodar, c’est le potentiel futur des découvertes de pétrole au Darfour qui, de nouveau, relie cette ressource lucrative à la guerre civile au Soudan. Soucieuse de s’assurer une part suffisante des réserves pétrolières mondiales pour soutenir son économie en pleine croissance, la Chine conjugue ses activités pétrolières au Soudan avec son droit de veto en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, ce qui limite sérieusement l’influence de l’ONU sur Khartoum.

Bien que la Chine ne souhaite pas mettre en péril ses relations commerciales avec les Etats-Unis en passant pour complice d’une répression au Darfour que Washington a qualifiée de génocide, elle est clairement opposée à l’idée d’une « obligation de protéger » qui forcerait les Nations unies à intervenir. Le conflit au Darfour marque ainsi un tournant crucial pour la Chine en sa qualité de puissance mondiale émergente.

Luke Anthony Patey pour Enjeux internationaux

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