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LE MONDE | Serge Sur : « En cas d’échec (du Conseil de Sécurité) avec l’Iran, les options plus guerrières risquent d’être ouvertes »
22.03.2007

Serge Sur est Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II) et Directeur du Centre Thucydide - Analyse et recherche en relations internationales (Thucydide est dans le prolongement du Quai d’Orsay). Il est responsable des Masters de Relations internationales et d’ Administration internationale, et dirige l’Annuaire français de relations internationales. Serge Sur est également rédacteur en chef de la revue bimensuelle Questions internationales (La Documentation Française).



Le Conseil de Sécurité de l’ONU s’apprête à voter un projet de résolution qui prévoit la mise en place d’un embargo sur les exportations d’armes par l’Iran et le gel des avoirs de 28 entités et personnalités iraniennes liées au programme nucléaire. M. Ahmadinejad souhaite venir devant le Conseil, mais n’est-ce pas une démarche inhabituelle pour le chef d’un Etat sous sanctions ? Comment les responsables de l’ONU vont réagir à votre avis ?

Selon l’article 31 de la charte de l’ONU, « tout membre de l’Organisation qui n’est pas membre du Conseil de Sécurité peut participer, sans droit de vote, à la discussion de toute question soumise au Conseil de Sécurité, chaque fois que celui-ci estime que les intérêts de ce membre sont particulièrement affectés ». L’Iran est membre des Nations unies et n’est pas menacé d’exclusion. Il jouit de la plénitude des droits. Encore faut-il savoir si « les intérêts » de l’Iran sont « particulièrement affectés » – ce qui est a priori évident. En réalité, la présence de M. Ahmadinejad ne ferait que souligner la légitimité du Conseil de Sécurité. Sa démarche est un geste d’apaisement et non un défi. C’est une tentative de conciliation. Il veut plaider sa cause et ce sera difficile de refuser, car cela voudrait dire que le Conseil de Sécurité pourrait prendre contre l’Iran des mesures coercitives sans l’entendre.

Ce projet de résolution, comme la résolution 1737 adoptée le 23 décembre 2006, est placé sous l’article 41 du chapitre VII de la Charte de l’ONU, qui autorise des sanctions mais pas une intervention militaire, en guise de concession envers la Russie et la Chine. Est-ce que cela veut dire qu’en échange, la Chine et la Russie vont s’aligner sur les positions des Occidentaux ?

La Charte ne parle pas de sanctions. Le sens du terme est d’ailleurs différent en anglais et en français. En France, le terme de « sanctions » désigne des mesures judiciaires et disciplinaires. Ce n’est pas la logique de la Charte. Elle prévoit des mesures tendant à changer le comportement d’un Etat qui n’est pas conforme à la paix. C’est une logique de persuasion ou de contrainte, mais pas de punition. Si c’était le cas, cela voudrait dire que le Conseil de Sécurité s’érigerait en tribunal. Or, il n’est pas un tribunal, mais une autorité décisionnelle et exécutive. Il repose sur une logique de police et non de justice. La police ne prend pas des sanctions mais des mesures. L’emploi du terme « sanctions » introduit donc une confusion.

Quant à la pratique du Conseil de Sécurité qui consiste à désigner un article de la Charte dans un projet de résolution, elle est récente. Elle est postérieure à l’affaire irakienne (2003) parce qu’on ne veut pas permettre une interprétation trop large des résolutions. Si on mentionne le chapitre VII sans autre précision, certains Etats vont considérer que cela ouvre un droit d’employer la force, alors que l’article 41 ne prévoit que des mesures n’impliquant pas la force armée. Le souci de concilier la Russie et la Chine est présent. Mais cela va bien au-delà. On constate en fait une gradation : la résolution 1696 du 31 juillet 2006, puis la résolution 1737 du 23 décembre, et ce dernier projet qui vient durcir les mesures. On augmente la pression sur l’Iran. Au bout du compte, on n’exclut pas l’usage de la force armée, mais nous sommes dans un processus graduel. Ensuite, pour la première fois – car il va plus loin que pour la Corée du Nord – le Conseil de Sécurité s’efforce de définir une stratégie de prévention de la prolifération des armes nucléaires dans une situation particulière. Il doit chercher les moyens de développer une stratégie diplomatique. Plus qu’une stratégie coercitive, c’est une stratégie de persuasion. S’il y arrive, ce sera un grand succès pour la non-prolifération, un élément de consolidation du Traité de non-prolifération et du multilatéralisme. S’il échoue, les options plus guerrières risquent d’être ouvertes.

Le Royaume-Uni, la France, les Etats-Unis et, dans une autre mesure, l’Allemagne sont-ils unanimes au Conseil de Sécurité à propos de l’Iran ? Lequel des quatre Etats est soucieux d’une solution non violente de la crise iranienne ?

Ce qui est clair c’est que l’UE 3 a toujours affirmé sa préférence pour le maintien de contacts, une solution négociée qui octroie à l’Iran des avantages contre la renonciation à la capacité d’enrichissement d’uranium. Elle a toujours été très sceptique quant à la possibilité et au succès d’une opération militaire. Au départ, les Etats-Unis ont eu une politique plus belliqueuse, puis ils se sont rapprochés de la position de l’UE, soit pour ne pas se couper de leurs alliés, soit pour gagner du temps, soit parce qu’ils n’étaient pas en mesure de lancer une opération militaire. Mais les Etats-Unis n’ont jamais exclu une option militaire. Aujourd’hui, ils affirment qu’elle est toujours sur la table.

Propos recueillis par Gaïdz Minassian