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Iran-Turquie : destins croisés
07.12.2006

Newsweek international - 4 déc. 2006 | Il y a presque 10 ans, les militaires turcs ont évincé un 1er ministre islamiste élu. Les conditions qui ont produit ce coup d’état réapparaissent aujourd’hui. A nouveau, un islamiste est au pouvoir. A nouveau, les généraux en colère discutent de la façon dont le gouvernement sape les bases laïques de l’état turc moderne. Comme je l’évalue, les chances qu’un coup d’état militaire en Turquie se produisant en 2007 sont approximativement de 50%.



J’avais prévu le dernier coup d’état grâce à une conversation avec un chef militaire peu avant les événements de février 1997. Il m’avait dit : « J’ai demandé aux généraux iraniens après la révolution de 1979 pourquoi ils n’avaient rien fait pour l’arrêter. Avant qu’ils ne réalisent où en étaient arrivés les islamistes, ils ont répondu qu’il était déjà trop tard, nous ne laisserons jamais cela se produire en Turquie. En effet, ce principe même est écrit dans les règlements de l’État Major Turc, qui déclarent que les militaires sont le protecteur unique de la démocratie séculaire turque et des principes d’Atatürk. »

Et il en est ainsi aujourd’hui. Bien que la plupart des turcs conviennent que le premier ministre Erdogan soit plus modéré que son prédécesseur évincé, Erbakan, il est néanmoins un islamiste. Le Président sortant Ahmet Necdet Sezer a averti publiquement que le gouvernement d’Erdogan élargit jour après jour son emprise fondamentaliste, et mine les principes de base du sécularisme tels que les définit la constitution turque. Très clairement, Sezer a rappelé aux forces armées turques leur engagement à servir de gardiens.

Le nouveau chef d’État Major, un faucon, le général Yasar Buyukanit, a récemment évoqué ce sujet. Dans un discours lors de l’ouverture de l’année universitaire de l’académie militaire le 2 octobre, il a demandé : « N’y a-t-il pas des gens en Turquie qui veulent que la définition de la laïcité soit redéfinie ? Ces personnes n’occupent-elles pas les sièges les plus élevés de l’état ? N’attaquent-ils pas l’idéologie d’Atatürk ? »

Buyukanit a continué en déclarant qu’une seule réponse affirmative à une seule de ces questions confirmerait que la Turquie est menacée par « le fondamentalisme islamiste ».

Dans les semaines précédentes, j’ai discuté avec les plus hauts gradés de la Turquie. Tous m’ont précisé que, alors qu’ils ne voudraient pas voir une interruption dans la démocratie, les militaires peuvent bientôt avoir à intervenir pour protéger la laïcité, sans laquelle il ne peut pas y avoir de démocratie dans un pays à majorité musulmane. Ce ne sont pas des personnes dénuées de raison qui tiennent de tels propos.

Pourquoi cela arrive t-il ? Principalement en raison de l’Union Européenne. Peu importe Chypre ou les nouvelles lois sur les droits de l’homme que la Turquie a votées sous la pression européenne. Le réel problème est la demande essentielle de l’UE : un contrôle des militaires par le pouvoir civil. Ce qui selon les hauts gradés produirait inévitablement une Turquie islamique.

La nation (turque) n’a tout simplement pas les moyens de suivre l’UE sur les questions qui en théorie rassureraient. Mais en réalité, ces réformes mettraient en danger son avenir de démocratie laïque, comme elle l’est encore aujourd’hui : un pays dans lequel l’état et la mosquée sont séparés et dans lequel la liberté (ou l’absence) de religion est garantie pour tous. Les militaires turcs sont particulièrement circonspects sur la façon dont l’UE fait face à son propre problème islamique.

Les gouvernements européens se rapprochent des islamistes extra européens, afin de les transformer en apparence en alliés pour juguler la menace du terrorisme islamique présent chez eux. Cela peut fonctionner à court terme disent les critiques turcs mais une stratégie pareille serait intolérable à une majorité de turcs qui craignent qu’une fois les portes ouvertes aux islamistes « modérés », des forces plus radicales entrent en scène et leurs succèdent.

Avec une telle divergence entre la Turquie et l’UE, le danger est que les militaires turcs, soutenus comme en 1997 par d’autres groupes laïcs, ne se sentent plus attachés par la nécessité de garder la Turquie sur le chemin européen.

Et cette fois, à la différence du passé, les États-Unis ne sont pas en position de les retenir. Les militaires turcs reprochent deux éléments aux Etats-Unis. Le premier est lié à l’Irak : l’armée turque est en désaccord avec Washington sur le traitement de faveur que les américains accordent aux terroristes Kurdes, à ceci s’ajoute le soutien américain à Erdogan. Ce dernier rencontrait d’ailleurs George Bush le même jour que Buyukanit (le chef d’État Major) faisait ses remarques sur la défense de la laïcité en Turquie. Les États-Unis se sont opposés au coup d’état de 1997, et ils s’y opposeront encore.

Mais comme le faisait remarquer récemment un haut fonctionnaire turc, « s’il y avait un coup d’état, quelles sanctions les États-Unis pourraient-ils bien décréter contre la Turquie ? »

Il est certain que les militaires peuvent exercer une influence sans recourir à la force. Et si un coup d’état devait se produire, il ne se traduirait pas nécessairement par une Turquie non démocratique. Plus probablement, elle signifierait simplement la fin de l’expérience islamiste de la Turquie et un retour à un gouvernement plus conservateur et laïque, mais une démocratie quand même. Comble de l’ironie, cette Turquie pourrait finalement être vue comme un meilleur membre de l’Europe que celle d’aujourd’hui.

Par Mme Zeyno Baran du Hudson Institute

- Mme. Baran a travaillé pour la Banque Mondiale, pendant six ans à CSIS (Center for Strategic and International Studies), puis à Nixon Center en tant que directrice du programme de sécurité internationale. Elle est actuellement la directrice du programme Eurasie du Hudson Institute basé à Washington.

L’auteur cite le cas des militaires iraniens qui auraient dit à leurs homologues turcs qu’il était déjà trop tard. La vérité est qu’ils n’ont pas fait le choix d’un putsch contre le commandant en chef, le Shah, qui lui aussi avait fait le choix de ne pas tirer sur le peuple.

Les militaires turcs ont fait un coup d’état contre un gouvernement islamiste, mais en Iran, le gouvernement ou le Shah étaient ni l’un ni l’autre des entités islamistes. Les ambiguïtés du cas iranien le différentient du cas turc. Les pays sont différents par leur histoire, leurs données géopolitiques, leur cheminement : l’Iran n’est pas la Turquie et ne le sera jamais.

Mais il existe des similitudes entre les deux cas : les démocrates Etats-Unisiens (de l’administration Carter) se sont accommodés de Khomeiny et l’ont même coaché, aidés par les Français et les Britanniques. L’équipe de Reagan a poursuivi cette politique sans en tirer une leçon et l’Iran, allié de l’occident depuis l’avènement des Pahlavi, bascula dans le camp des adversaires de l’occident, la Russie Soviétique et ses acolytes, et prospéra dans les années de la fin de la guerre froide et du chaos qui a suivi la pseudo-victoire de l’ouest.

La réaction attendue de l’armée Turque contre les islamistes modérés qui sont actuellement choyés par Washington, Paris et Londres (comme dans le cas iranien), pourrait se traduire par une alliance entre la Turquie et la Russie. Une telle éventualité accorderait à la Russie le contrôle total sur toutes les possibilités d’approvisionnements énergétiques de l’Europe. La Russie ne manquera aucune occasion pour satisfaire ses alliés Turcs qui lui donneront une façade sur la Méditerranée et aussi l’opportunité de rebâtir des meilleurs liens avec l’Asie Centrale.

Là où les Européens et les Américains jouent la carte du fédéralisme polymorphe et des identités ethniques, la Russie joue la carte de l’état nation et tend à créer des alliances sur le modèle américain durant la guerre froide. Pour des pays à forte identité nationale, comme l’Iran ou la Turquie, la Russie se place comme l’allié par excellence. La Russie comme défenseur des souverainetés nationales, qui l’aurait cru ? [1]

L’Amérique comme agitateur politique : l’affaire a commencé en 1979 en Iran et il est temps que cela cesse. L’avenir de l’Iran est d’être un état nation puissant et neutre comme il le fut pendant un demi-siècle de 1924 à 1979.

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[1L’agitateur Soviétique et le Moyen-Orient | Entre 1968 et 1978, les soviétiques expédiaient chaque semaine aux terroristes palestiniens au Liban deux avions cargo pleins d’armes. Après la chute du communisme, les archives de la Stasi (Allemagne de l’Est) ont révélé qu’en 1983 seulement, ce service de renseignement avait envoyé des AK-47 pour près de 1,9 millions $. Selon Vaclav Havel, la Tchécoslovaquie communiste a expédié plus de 1000 tonnes d’explosif Semtex-H (qui ne peut être repéré par des chiens renifleurs) aux islamistes, les approvisionnant pour 150 ans de terreur. Source : National Review | La main de Moscou a modelé la situation actuelle au Moyen-Orient |