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Iran : la vie d’une correspondante de presse en poste à Téhéran
17.10.2006

Être journaliste en Iran n’est pas simple, être étranger rend la chose encore moins simple mais lorsqu’en plus on est une femme alors on cumule les handicaps au regard des normes de la république islamique. La correspondante de la BBC à Téhéran (Frances Harrison) a raconté à la radio britannique son expérience des voyages du président iranien à travers le pays et c’est une autre vision qu’elle nous fournit sur Ahmadinejad et surtout son comportement.



Ahmadinejad a visité des centaines de petits villages, avec plus ou moins de bonheur et dans certaines villes, il a même été contraint de retrousser chemin et de retourner à Téhéran par peur des manifestants qui l’attendaient.

Officiellement, Ahmadinejad met un point d’honneur à aller visiter les gens de « poshté kouh » (patelins perdus). Nombreux sont les journalistes qui doivent scruter les cartes pour savoir où se trouvent ces patelins dont personne n’a jamais entendu parler.

Quand Ahmadinejad se déplace, les journalistes doivent se réunir des heures auparavant dans une salle du palais présidentiel pour un contrôle de sécurité : les journalistes femmes d’un côté, les hommes de l’autre. Dans le cas des journalistes femmes, elles sont reçues par une femme peu commode vêtue d’un grand voile noir en charge de la coordination. La préposée leur annonce que les femmes recevront l’autorisation de monter à bord après tous les journalistes hommes : autrement dit, elles doivent se contenter des miettes de ces messieurs.

Frances Harrison raconte que lors de l’accompagnement d’Ahmadinejad à Shahryar, au moment où elle pénétrait dans le stade avec d’autres journalistes, elle a clairement entendu les officiels dire dans leurs talkies walkies que « les étrangers sont là, faites attention ! »….

La foule était séparée : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre et de la même manière, le dispositif de sécurité était aussi composé d’hommes et de femmes selon les publics concernés. Lors de ces voyages, ces hommes et femmes des services de sécurité ramassent des centaines de lettres des doléances de la foule qu’ils doivent remettre au président plus tard. Frances Harrison raconte qu’une femme milicienne l’accompagnait pas à pas ordonnant à la foule de ne pas lui adresser la parole.

Frances Harrison raconte que beaucoup de femmes demandent audience à Ahmadinejad, mais n’obtiennent jamais satisfaction et que celui-ci n’accorde de rencontres qu’aux hommes. La journaliste britannique déclare avoir été étonnée de la colère de toutes ces personnes, de leurs besoins, de leur désillusion. Pour la plupart, les personnes qui viennent voir Ahmadinejad dans ses déplacements sont des pauvres et illettrées, des vieilles femmes qui demandent que le président leur trouve des logements ou des soins médicaux pour des époux souvent vétérans de la guerre Iran-Irak. Certaines demandaient des choses pour leurs fils, d’autres des mesures contre le trafic de drogue. Un an après son accession à la présidence, ces gens-là ont encore espoir qu’Ahmadinejad pourra faire quelque chose pour eux, alors qu’à Téhéran tout le monde parle de l’incapacité du président à limiter les hausses des prix, c’est dans ces villages reculés où les pauvres croient encore en ses capacités.

Interviewer la population est problématique selon la correspondante de la BBC : au moment où quelqu’un accepte de répondre, il se trouve toujours quelqu’un pour demander à la foule de crier « mort à l’Amérique », sabotant ainsi l’enregistrement. Elle avoue qu’on lui dit l’avoir prise pour une américaine. Il faut dire que selon elle, le mot d’ordre est à l’anti occidentalisme, et on (des agents des services secrets -ndlr) demandent souvent à la foule de ne pas répondre aux questions des médias étrangers, on leur dit de ne pas faire confiance à une journaliste étrangère. Harrison a dit qu’il y a aussi d’étranges personnages qui viennent la trouver pour se faire interviewer et qu’après, ils la questionnent afin de savoir pourquoi elle donne une image négative de l’Iran.

En quittant le fameux stade de Shahryar, elle a reçu un appel de la présidence lui disant qu’elle n’était pas autorisée à diffuser les interviews qu’elle avait réalisés sur place. Frances Harrison a alors dit qu’elle ferait savoir par la BBC qu’elle avait été censurée. C’est alors que la personne au téléphone l’a avertie que toute coopération avec la BBC serait suspendue dans le futur si elle faisait cette annonce. Par la suite, la journaliste britannique a reçu un autre appel du ministère de la guidance islamique pour lui confirmer la même chose. Ce qui est d’autant plus étrange selon la journaliste c’est qu’elle n’avait réussi dans ce stade qu’à interviewer des personnes positives à l’égard d’Ahamdinejad.

Elle reconnaît n’avoir jamais rencontré Ahmadinejad, et qu’à chaque fois elle était placée dans un endroit éloigné de lui. Frances Harrison pense qu’il s’agit pour elle de son dernier accompagnement d’Ahmadinejad.

Avec pareille diffusion sur la BBC ce sera peut-être aussi sa dernière expérience de journalisme en république islamique, mais elle aura eu le mérite de nous montrer sous un jour nouveau le journalisme en Iran. Peut-être aurait-elle dû fréquenter avec plus d’assiduité et de bienveillance les couches dirigeantes du pays à l’instar de quelques unes de ses consoeurs françaises ou américaines [1]

Mais à vrai dire, nous ne croyons guère aux vertus de l’émulation et ces dernières continuent à nous décevoir régulièrement.

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Pour en savoir + sur la vie des correspondants de presse en Iran :
- 7 jours en Iran : 7-Around midnight
- (31.03.2006)

Un de ceux qui nous déçoivent...
- Ahmadinejad sauvé par la météo : Le ciel de Téhéran dit le contraire !
- (24.01.2006)

Un autre de ceux qui nous déçoivent...
- L’AFP nous rapporte le désarroi des jeunes journalistes iraniens !
- (23.03.2006)