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Du Real Politik au Sommet Chirac-Poutine-Merkel
23.09.2006

Le président russe Vladimir Poutine est arrivé ce vendredi pour une visite de deux jours à Paris. Il dînera ce soir avec Jacques Chirac et rencontrera demain Chirac et Merkel dans un sommet tripartite à Compiègne. L’axe Paris-Berlin-Moscou se reforme à nouveau pour des discussions sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe et le nucléaire iranien. Sur les deux sujets, Moscou a des intérêts antagonistes avec Paris et Berlin.



Ce type de rencontre informelle avait été inauguré en 1998 par Jacques Chirac, qui recevait alors le Russe Boris Eltsine et l’Allemand Helmut Kohl. A cette époque la Russie était affaiblie et avait besoin de la coopération industrielle [1] de la France et de l’Allemagne, c’est pourquoi ce sujet figure aussi au menu des conversations même si aujourd’hui la Russie se porte bien et peut menacer les industries de pointe de ses deux interlocuteurs notamment dans le nucléaire civil et l’armement.

La Russie est même de plus en plus active dans les deux secteurs et vient d’ajouter à son tableau de chasse, la Turquie et l’Arabie Saoudite, deux autres pays musulmans, habituels acheteurs d’armements américains, qui sont intéressés par des équipements militaires Russes. En 2005, la Russie a obtenu le statut d’observateur auprès de l’Organisation de la Conférence Islamique et pourrait même y adhérer [2], une performance que ses deux interlocuteurs européens ne pourront pas réaliser sous peine de livrer leur pays à des crises sociales.

C’est d’ailleurs l’un des points forts de la Russie : elle n’est pas une démocratie. Malheureusement, la France et l’Allemagne mettent un point d’honneur à ne pas s’intéresser aux violations des droits de l’homme chez leurs fournisseurs énergétiques (contrairement aux américains qui font au moins semblants). Cette attitude, qu’ils qualifient de Real Politik, les place aujourd’hui en face d’un adversaire redoutable qui est lancé dans une vaste offensive contre l’Europe sans avoir à se soucier d’une opinion pacifiste hostile ou à composer avec les divergences qui font le charme de la démocratie.

Le Tsar Vladimir vient en terre convoitée où il possède 5,02% des parts d’EADS, le fleuron franco-allemand de l’industrie aéronautique civile et militaire. Et elle a annoncé sa volonté de créer une minorité de blocage dans le consortium européen. Il est également le plus important fournisseur de gaz à l’Europe et il s’est arrangé pour acheter consciencieusement et méthodiquement tous les pipelines qui approvisionnent l’Europe. Il est de ce fait quelque peu pitoyable de lire que « Si la Russie est le fournisseur énergétique fondamental pour l’Europe, son avenir dépend aussi du secteur énergétique ». L’Europe tente d’établir un « partenariat énergétique » avec Moscou au nom d’un intérêt mutuel fondé sur le principe de réciprocité. Il n’y a pas de réciprocité : c’est même le contraire car la Russie cherche à créer un Cartel de « fournisseurs » de gaz qui pourrait même peser sur l’OPEP qui est un Cartel des « producteurs » d’énergie.

La Russie est en phase de devenir un géant car elle est à la fois, un producteur et le patron d’un Cartel de fournisseurs. Elle a acquis des parts dans les réseaux italiens, turcs, grecs et algériens… Elle serait même intéressée par GDF... Avant cette rencontre, Poutine a choisi de montrer également sa puissance en s’attaquant aux droits d’exploitation des compagnies Européennes à Sakhaline et à Khariaga, tout en épargnant les compagnies asiatiques : une manière subtile de montrer à l’Europe sa faiblesse de marges dans les négociations énergétiques.

Moscou a d’importants débouchés en Inde, en Chine et au Japon et peut mettre la pression aux Européens et ce d’autant plus que par une machiavélique alliance avec l’Iran, la Russie a dressé un cordon sanitaire sur la rive est de la Caspienne interdisant à l’Europe d’accéder à l’Asie centrale. L’Europe continue cependant à se rassurer en affirmant que « personne n’a, de part et d’autre, intérêt à jouer de l’énergie comme instrument politique ». Paris et Berlin (et surtout Paris) continuent à se gargariser d’expressions fantaisistes comme « réciprocité » ou « partenariat énergétique » et d’afficher un air satisfait à propos de la création de l’oléoduc subaquatique baltique qui augmentera encore plus la dépendance européenne vis-à-vis des Russes.

WWW.IRAN-RESIST.ORG

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L’offensive énergétique Russe est aussi liée à l’Iran, tant que ce pays restera dans le giron des Russes, l’Europe n’aura aucune alternative pour contrer l’offensive Russe. Les Russes utilisent la crise nucléaire iranienne et les capacités terroristes du régime des mollahs pour déstabiliser la région et diaboliser les Etats-Unis afin de proposer leur propre protection aux Etats de la région. Cette protection est à la fois militaire et énergétique. L’instabilité innée de de la république islamique joue en leur faveur et ils n’ont aucun intérêt de sortir de ce cycle de crise (objectif1). Ils ont également le devoir de maintenir les mollahs au pouvoir et du côté Russe. C’est pourquoi, ils accueillent avec bonheur tout projet de retard des sanctions et encouragent à leur tour l’escalade : au bout de cette entreprise d’efforts mutuels, ils récolteront avec l’Iran deux lauriers : un pacte de non agression pour le groupe Iran+Hezbollah+Syrie et un droit à l’enrichissement.

2 objectifs complémentaires | Le terrorisme a toujours été l’assurance vie des mollahs : un moyen de nuisance perfectionné et perfectible qui a démontré son effrayante efficacité dans le récent conflit du Liban. Cependant, les mollahs comme les Russes ont pleinement conscience que le Hezbollah doit céder sa place à un autre mouvement plus fantomatique et moins politique, ils ont tous les deux conscience que cette « assurance vie » est de nature limitée et doit céder la place à quelque chose de plus radical et surtout de plus durable (voir définitif). La puissance nucléaire est la solution de cette équation et comme nous l’avons exposée plutôt, l’objectif n’est pas de constituer un arsenal nucléaire de combat mais un arsenal nucléaire de compensation qui neutraliserait la prolifération-dissuasion à 5 et nous ramènerait à des guerres conventionnelles. C’est alors que l’Iran (équipé par la Russie) pourrait peser militairement, où ces deux états le désireraient, grâce à ses groupuscules terroristes aussi furtifs que bien équipés.

C’est la plus radicale leçon du récent conflit du Liban. Le Hezbollah est une nécessité régionale pour qui veut dominer cette région très pétrolifère. Le reste appartient au domaine des détails : Israël sera la victime collatérale de ce conflit par procuration qui opposera les Etats-Unis à la Russie, les musulmans seront les troupes de cette guerre et l’Europe, elle sera la cerise sur le gâteau. Elle tombera sous la domination Russe ou musulmane si le Moyen-Orient passe sous domination Russe. Le régime des mollahs n’est peut-être pas séduit par cette cascade incontrôlable d’évènements belliqueux, mais son salut passe par le renforcement de ses défenses naturelles. L’occident n’a pas de choix : la seule autre alternative « facile » resterait le sacrifice d’Israël. Cependant ce sacrifice modifiera la carte du Moyen-Orient et renforcera aussi la Russie.

Le sujet dont Chirac, Merkel et Poutine ne parleront pas sera un changement de régime en Iran qui seul pourrait arrêter l’hégémonie inquiétante de la Russie, le seul état qui a une puissance énergétique, militaire et nucléaire. On ne peut donc que trembler en lisant l’analyse de l’Elysée qui juge que « le rôle de la Russie a permis d’avancer » dans le dossier nucléaire iranien.

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- Iran nucléaire : Les leçons de Shanghaï
- (18.06.2006)

PS. Ce plan puise son énergie dans la pacification du Hezbollah, or justement la France milite pour transformer ce groupe terroriste en un parti politique, réduisant ainsi momentanément le pouvoir de nuisance des mollahs mais en leur faisant prendre conscience qu’il leur faut une autre assurance-vie plus définitive. Par ailleurs, la France est devenue la cheville ouvrière d’interminables négociations qui permettent aux mollahs d’avancer leurs 3 programmes nucléaires : l’officiel avec la recherche sur l’enrichissement nucléaire, le clandestin et finalement le programme à base d’eau lourde.

[1Maigre compensation : 2 protocoles d’accords doivent être signés, sur la coopération entre les ministères français et russe de l’Equipement et entre la Russie et le groupe de BTP Vinci pour la construction d’une autoroute reliant Moscou et Saint-Pétersbourg.

[2L’adhésion de la Russie à l’OCI lui permettrait d’accéder au marché nucléaire du Moyen-Orient. Source IR : la Proposition Russe et le projet français de Prolifération Coopérative |