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Le Figaro : L'Iran fait peur sans la bombe, qu'en sera-t-il avec elle ?
08.08.2006 Par Thérèse Delpech

LE 31 JUILLET, après deux semaines de discussions entre les membres du Conseil de sécurité, le vote de la résolution 1696 est enfin intervenu avec une belle majorité : 14 voix contre 1. Trois ans après les premières indications décisives d’une violation par Téhéran de ses engagements internationaux, et six mois après la transmission du dossier nucléaire iranien au Conseil de sécurité, c’est une victoire un peu tardive, de surcroît limitée.



Il faudra en effet une autre réunion ministérielle avant toute nouvelle décision du Conseil au cas où l’Iran ne tiendrait pas davantage compte de cette résolution que de la déclaration présidentielle de mars. Mais la preuve est tout de même faite – une fois de plus – que ce n’est pas Washington et les capitales européennes qui veulent obtenir seules la suspension des activités d’enrichissement et de retraitement sur le sol iranien. Les cinq membres du Conseil de sécurité ont trouvé un accord pour rendre désormais cette suspension obligatoire, et l’Iran a un mois pour s’exécuter.

Un seul pays a voté contre la résolution. Cette voix rebelle est celle du Qatar, et son vote ne saurait être interprété seulement comme une protestation indirecte aux bombardements israéliens au Liban, et plus particulièrement à la tragédie de Cana. Il exprime aussi la peur que les pays de la région ont désormais de Téhéran. Le Qatar n’a pas la moindre sympathie pour l’Iran. Les deux pays ont même des différends territoriaux connus. La nature exacte du lien avec la crise libanaise n’est pas nécessairement celle qui vient immédiatement à l’esprit. Car l’interprétation la plus répandue à New York au sein des délégations est que Téhéran a eu un rôle décisif dans l’origine du conflit.

Personne ne croit à une initiative isolée du Hezbollah le 12 juillet. L’attaque a eu lieu après une rencontre avec Javier Solana à Bruxelles du principal négociateur iranien, Ali Larijani, qui ne s’est pas même donné la peine de feindre un intérêt quelconque pour la proposition élaborée le 1er juin par les cinq membres permanents et l’Allemagne. Le retour au Conseil de sécurité, une échéance que Téhéran a toujours redoutée en raison de ses conséquences politiques et économiques – même sans l’adoption de sanctions – était probable, et les réponses étaient préparées de longue date à Téhéran.

L’attaque a aussi eu lieu peu avant le Sommet du G8 à Saint-Pétersbourg, où l’affaire iranienne devait être abordée. Compte tenu de ces échéances, et des liens idéologiques, politiques et militaires du Hezbollah avec Téhéran, il est normal de se poser des questions sur une possible manoeuvre de diversion. Les délégations réunies à New York pensent connaître la réponse et en déduisent parfois que l’Iran peut prendre d’autres initiatives déplaisantes.

Mais si l’un des éléments qu’il faut retenir du vote de Doha est la façon dont Téhéran tétanise les capitales du Moyen-Orient, il faut en tirer quelques leçons. Cela signifie en effet tout d’abord que l’Iran est à présent crédité d’une capacité de nuisance considérable, qui ne fait que croître avec le temps. S’il est une crainte générale dans la région, à l’exception notable de la Syrie, c’est celle de voir les milices de Hassan Nasrallah, mais surtout le régime iranien, bénéficier des événements. Des discussions officieuses sont en effet engagées avec Téhéran, que certains créditent maintenant, c’est un comble, d’un rôle « stabilisateur ».

Il y a également une autre leçon à tirer, qui porte sur la confiance plus limitée que les alliés des États-Unis ont désormais en l’efficacité de la protection américaine. Cet élément est très grave, car c’est lui qui peut conduire certains pays à revoir leurs politiques de défense, voire à se doter de l’arme nucléaire. En effet, et c’est une troisième leçon, on ne peut reprocher aux acteurs de la région de s’interroger sur ce que l’Iran pourrait faire avec la bombe, quand ils assistent à une démonstration en vraie grandeur de ce qu’il peut déjà faire sans elle.

En termes strictement rationnels, la conséquence à tirer serait naturellement, plutôt que de remettre sans cesse à plus tard les échéances, ou de s’opposer à une résolution qui représente une ultime tentative pour obtenir de l’Iran qu’il se plie aux décisions du Conseil, d’exercer une pression plus forte avant que l’avance vers la sanctuarisation du territoire iranien – ou la modification de la composition du Conseil de sécurité –, ait pour conséquence de vider toute pression internationale de contenu ou de rendre cette pression plus difficile encore à décider. Ces deux éléments méritent commentaire.

L’avancement du programme, tout d’abord. En effet, pendant que l’on continue de prier Téhéran – on pourrait parfois dire supplier – d’accepter l’offre des six pays, plus personne ne s’interroge sur l’évolution du programme nucléaire iranien. Or, non seulement les questions non résolues n’ont pas fait le moindre progrès, mais depuis le mois de février, l’AIEA ne contrôle plus la production de centrifugeuses sur le territoire iranien. L’assemblage des machines sur le site du pilote de Natanz n’évoluant pas au rythme prévu, l’Iran a-t-il décidé de construire un autre site ? Et cela pourrait-il avoir un lien avec la date du 22 août, que l’Iran indique depuis des mois comme étant la date de sa réponse ? Les raisons invoquées par Téhéran pour justifier cette date tiennent aux travaux de cinq comités qui devraient alors remettre leurs conclusions. Mais qui croit vraiment à cette fable ?

La composition du Conseil de Sécurité est une autre donnée importante. En effet, lors du renouvellement qui aura lieu en janvier, trois nouveaux entrants vont apporter un obstacle supplémentaire à l’action : le Venezuela (multi-liens), l’Afrique du Sud (multi-liens) et l’Indonésie (pays musulman mais hostile à l’antisémitisme d’Ahmadienjad). Compte tenu de l’extraordinaire aptitude de la diplomatie à faire comme si l’on avait toujours « la vie devant soi », peut-on miser sur une décision avant cette date, avec les nouveaux avertissements que l’été 2006 apporte sur la capacité de nuisance de l’Iran, cette fois sous forme d’un conflit armé ? Rien n’est moins sûr.

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Thérèse Delpech est Directrice des Affaires Stratégiques au Commissariat à l’Energie Atomique depuis 1997. Elle a été, entre 1995 et 1997, conseiller auprès du Premier Ministre (affaires politico-militaires) et, entre 1987 et 1995, directeur adjoint des Affaires internationales (Questions stratégiques et de défense, non-prolifération) au Commissariat à l’Energie atomique. Thérèse Delpech est l'auteure de :
- L’Ensauvagement. Le retour de la barbarie au XXIe siècle (Grasset)
- L’Iran, la bombe et la démission des nations (Autrement).

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