Amnesty Int : Pékin exporte des armes vers des pays en guerre 28.06.2006 Hasard du calendrier : alors que s’est ouvert, le 12 juin à Pékin, un forum sur la Défense et la Sécurité de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) consacré au « développement pacifique de la Chine et la coopération régionale en matière de sécurité », la Chine s’était vue la veille montrée du doigt après la parution d’un rapport cinglant rédigé par Amnesty International. Lourd d’une vingtaine de pages, ce rapport intitulé « People’s Republic Of China, Sustaining Conflict and Human Abuses ». The Flow of arms accelerates » souligne que « la Chine apparaît de plus en plus comme l’un des principaux exportateurs d’armes, l’un des plus discrets et des plus irresponsables ».
Principalement de Russie [2], qui se positionne comme le principal fournisseur de ce que les experts qualifient de « hardware », et, dans un moindre mesure, d’Ukraine, d’Israël qui lui procure des équipements plus sophistiqués [3] et faisant davantage appel à la haute technologie, et de France [4]. En termes de destination régionale pour les ventes de matériels russes en 2005, la Chine s’affiche comme « le leader incontesté [5] », suivi de près par l’Inde. L’année précédente également, ces deux pays trustaient les premières places des pays importateurs nets d’armes conventionnelles, la Chine « continuant de dépendre presque totalement dela Russie pour ses importations d’armes, mais elle reçoit désormais des composants et de la technologie plutôt que des armes complètes [6] ». Une tendance que Moscou tente aujourd’hui de réfréner tant bien que mal. La pression exercée par la Chine – qui exploite le poids qu’elle pèse dans les exportations russes d’armes –pour obtenir de Moscou des systèmes d’armes sophistiqués est telle qu’elle pourrait même, terme, provoquer l’irritation des Russes, voire un shift dans la coopération militaire sino-russe [7]. Dopée par une économie en pleine effervescence, une croissance de l’ordre de 9% et des impératifs de sécurité liés à sa perception stratégique de sa place dans le monde [8], la Chine développe également sa propre industrie de défense. Et elle exporte.
2. Les armes vendues par la Chine ont contribué à entretenir les conflits
En pratique, soulignaient les auteurs, les politiques d’exportations d’armes de ces deux pays ne prennent pas en compte les considérations liées aux droits de l’homme. Le dernier rapport d’A.I. du 11 juin revient donc sur la question et la développe à l’aide de nombreux exemples. Il en ressort notamment que les armes chinoises ont contribué à entretenir des conflits et des violations des droits de l’homme dans des pays tels que le Soudan, le Népal, la Birmanie, le Libéria, le Zimbabwe, l’Iran, où l’armée chinoise a activement participé à des transferts d’armes en échange de pétrole. Grande productrice d’armes légères, la Chine a exporté d’importantes quantités de ce type d’armes ces quinze dernières années vers les pays de la région des Grands Lacs, où de très nombreuses violations des droits de l’homme ont été dénoncées, notamment dans le Kivu et en Ituri. « Ces armes faites en Chine auraient été livrées directement de Chine à la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda et le Burundi où via d’autres pays fournis par la Chine, tels que l’Albanie et le Zimbabwe.[..] Outre l’Afrique, l’Amérique latine devient aussi un marché clé pour la fourniture d’armes chinoises [13] ». Ces ventes d’armes rapporteraient à la Chine un milliard de dollars par an, ce qui fait d’elle le quatrième exportateur mondial d’armes. L’on pourra toutefois regretter qu’Amnesty International mentionne également le cas d’armes de fabrication chinoise retrouvée dans certains pays en proie à des troubles [14] pour accuser Pékin. Or, il est de notoriété publique que les trafiquants d’armes internationaux s’approvisionnent un peu partout dans le monde pour fournir leurs clients. Le fait que de telles armes circulent ne permet pas toujours de prouver que la Chine est à l’origine de ces trafics. Il faut cependant reconnaître que c’est la première fois que la Chine est ainsi dénoncée publiquement sur la scène internationale pour ce type d’activités.
3. Les exportations d’armes chinoises pâtissent d’un manque de transparence
« Ce commerce, souligne encore le rapport d’A.I., ne se fait pas au grand jour car Pékin ne publie aucune information sur ses transferts d’armements à l’étranger et n’a soumis aucune donnée au registre des armes classiques des Nations unies au cours des huit dernières années. » Cette information est particulièrement piquante lorsque l’on sait que Pékin plaide depuis des années pour la levée de l’embargo européen sur les armes, décrété par le Conseil européen après le massacre de Tienanmen du 4 juin 1989 et la répression du mouvement en faveur de la démocratie qui suivit. Le vote de la loi anti-sécession, le 14 mars 2005, par l’Assemblée nationale populaire chinoise et le manque de progrès significatifs enregistrés dans le domaine des droits de l’homme en Chine avaient amené les responsables européens à ralentir fortement le processus de levée de cet embargo, qui est également soumise à la mise en place d’un Code de conduite sur la vente d’armes et d’une « ToolBox » (boîte à outils) destinés à accompagner la levée de l’embargo. Cette question n’est d’ailleurs plus « à l’agenda » européen pour l’instant. Amnesty International se félicite d’ailleurs des décisions américaine et européenne de suspendre toute levée des embargos à l’encontre de la Chine, « étant donné le risque élevé que des équipements militaires et de sécurité américains ou européens soient potentiellement utilisés par des entreprises chinoises pour la production ou l’exportation d’équipements militaires, destinés aux forces de sécurité ou à double usage (dual use), qui peuvent être alors aisément transférés et utilisés pour contribuer à des graves violations des droits de l’homme en Chine ou dans certains pays tiers [15] ». Et l’ONG internationale de conclure que tant que la Chine continuera d’autoriser les livraisons d’armes aux auteurs de violations flagrantes des droits de l’homme, « la communauté internationale se doit de renforcer sa réglementation sur les entreprises faisant appel aux technologies militaires et à double usage en Chine ». Un argument qui n’a sans doute pas été apprécié à Pékin, qui tente, comme on l’a vu, d’obtenir la levée de l’embargo imposé par l’Union européenne et qui multiplie les joint-ventures avec des entreprises occidentales pour pouvoir intégrer le know-how occidental dans tous les domaines [16]. « En ce qui concerne l’attribution de licences d’exportation d’armes, la Chine qualifie son approche de "prudente et responsable", pourtant rien ne saurait être plus éloigné de la réalité, a déclaré Helen Hughes, chargée de recherche auprès d’Amnesty International en matière de contrôle des armes, lors de la présentation du rapport. La Chine est la seule grande puissance à exporter des armes sans avoir signé aucun des accords multilatéraux dont les critères visent à empêcher l’exportation d’armes susceptibles de contribuer à de graves violations des droits humains. » Pour Pékin, cette condamnation est infondée et irresponsable. La Chine, explique Teng Jianqun, directeur du Département d’études de l’Association chinoise de réduction des armements et du désarmement, observe trois principes fondamentaux : les exportations d’armes doivent aider le pays acheteur à améliorer sa capacité de légitime défense ; ne pas nuire à la paix, à la sécurité et à la stabilité des régions concernées et du monde ; ne pas utiliser le commerce d’armes pour s’ingérer dans les affaires intérieures des pays souverains [17]. Ces principes, qui ont d’ailleurs été rappelés par la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Jiang Yu [18], sont repris dans les principaux décrets et « White Papers » consacrés à la réglementation chinoise en matière d’exportations d’armes [19]. Insuffisant, rétorque A.I., qui invite les autorités chinoises à instaurer des lois et des règlements interdisant tout transfert d’armes pouvant servir à perpétrer de graves atteintes au droits de l’homme, comme au Soudan, où des armes chinoises ont été utilisées au Darfour.
4. Conclusion
WWW.IRAN-RESIST.ORG Par Frédéric MOSER, Directeur des Affaires européennes d’ESISC WWW.IRAN-RESIST.ORG Pour en apprendre + :
Bonne lecture et à très bientôt. [1] China’s National Defense in 2004, décembre 2004. ( « China adheres to the military strategy of active defense and works to speed up the RMA with Chinese characteristics.(…) Going with the tide of the world’s military development and movingalong the direction of informationalization in the process of modernisation, the people’s Liberation Army (PLA) shall gradually achieve the transition from mechanization and semi-mechanization to informationalization. (…) The PLA will promote coordinated development of firepower, mobility and informationcapability, enhance the development of its operational strength with priority given to the Navy, Air Force and Second Artillery Force, and strengthen its comprehensive deterrence and warfighting capabilities.) [2] Au cours de la dernière décennie, la seule Russie a fourni approximativement 95% de toutes les armes vendues à la Chine et reste son fournisseur attitré (Military Power of the People’s Republic of China 2006, Annual Report to Congress). Selon le Stockholm International Peace Research Institute, 43% des livraisons d’armes russes sont allées à la Chine au cours de la période 2001-2005, pour 25% à l’Inde (SIPRI Yearbook 2006). [3] Notamment le développement d’une variante de l’AWACS et des UAV de type HARPY. Suite aux pressions américaines, Tel Aviv commence néanmoins à renforcer son contrôle sur les exportations d’armes à destination de la Chine. [5] Russia’s Arms Trade with Foreign States in 2005, Moscow Defense Brief, 1/5/2006 [6] SIPRI Yearbook 2005, Armaments, Disarmament and international Security [7] Military Power of the People’s Republic of China 2006, Annual Report to Congress [8] China’s National Defense in 2004, décembre 2004. [9] Military Power of the People’s Republic of China 2006, Annual Report to Congress. [10] Ibidem. [11] “U.S., Japan ask China for military transparency”, The Washington Times, 2 mai 2006. [12] “Dead on Time –arms transportation, brokering and the threat to human rights”, Amnesty International, TransArms, mai 2006. [13] “People’s Republic Of China, Sustaining Conflict and Human Abuses. The Flow of arms accelerates”, Amnesty International, 11 Juin 2006. [14] Amnesty International cite ainsi le cas de pistolets de fabrication chinoise, dont le trafic est en hausse et qui ont été retrouvées par la police en Australie, en Malaisie, en Thaïlande et en Afrique du Sud. [15] “People’s Republic Of China, Sustaining Conflict and Human Abuses. The Flow of arms accelerates”, Amnesty international, juin 2006. [16] Entré dans sa seconde phase d’exploration du marché chinois, le groupe français de transport et d’énergie Alstom a décidé d’établir sa base de production globale en Chine (Le quotidien du peuple en ligne, 13/02/2006.). Dans un autre domaine, la société belge Barco (défense, sécurité, avionique, pharmaceutique, etc.), dispose de plusieurs filiales et bureaux de représentation en Chine. [17] Interview de Teng Jianqun, Xinhua, 12/06/2006. [18] « La Chine est toujours « prudente » dans le commerce d’armes », Le Quotidien du peuple en ligne,14/06/2006. [19] White Paper on Arms Control and Disarmament, novembre 1995 ; Regulations on the Control of Military Products Export, octobre 1997, White Paper on National Defense, juillet 1998 ; Regulations on Control of Military Products Export (revision du document de 1997), octobre 2002. [20] « China’s peaceful Development Road », publié le 22 décembre 2005 par le Conseil d’Etat. |