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Iran nucléaire : Les leçons de Shanghaï
18.06.2006

Comme nous l’avions prévu dans l’article qui traitait de l’annulation de la visite de Larijani en Europe, il y avait un lien de cause à effet entre cette annulation annoncée le 14 juin et le voyage de Ahmadinejad à Shanghai le 15 juin [1]. Nous avions effectivement vu juste : le régime des mollahs voulait se concerter avec ses alliés du moment : la Chine et la Russie.



Le changement de ton a été remarquable et remarqué par l’ensemble des media, cependant Shanghai est riche d’enseignements car ce rendez-vous est aussi le point de rencontre de deux états gigantesques, voisins et concurrents : la Russie et la Chine qui font tout pour se montrer en termes amicaux. En ce qui concerne l’Iran, les deux géants de l’Asie restent hostiles à l’usage des sanctions ou de la force et recommandent inlassablement la poursuite de négociations. Cependant les intérêts iraniens et régionaux divergent et leurs approches ne sont pas identiques.

La Russie a d’importants contrats nucléaires, militaires et aéronautiques en Iran et par contre elle n’a nullement besoin du pétrole iranien, elle est même un concurrent de l’Iran dans ce domaine. La Chine est un important client du pétrole iranien et plus de 60% de ses achats pétroliers transitent par le détroit d’Ormuz contrôlé par l’Iran.

D’une manière générale, les mollahs ont démantelé le parc industriel iranien et le pays doit se tourner vers l’importation dans de nombreux domaines industriel, artisanal, alimentaire, bien et service. L’Iran et son économie à l’agonie sont une aubaine pour les industriels qui cherchent une main d’œuvre peu onéreuse ou un marché pour écouler leurs produits. Par exemple, la Chine a totalement avalé le marché textile iranien. Les domaines où excellent les Chinois et les Russes sont différents et les deux pays ne risquent pas de perdre les mêmes avantages en Iran ou de se concurrencer. De plus la Chine n’a pas de frontière commune avec l’Iran et son intérêt pour ce pays n’est pas géostratégique. La Chine a des visées en Afrique et surtout en Asie Centrale, et très peu au Moyen-Orient. Principalement parce que cette région est très disputée entre les Russes et les Américains. Il lui importe uniquement de se garantir un approvisionnement pétrolier sûr par le golfe Persique [2] et la certitude qu’elle ne sera pas menacée par une pénurie, c’est ce qui motive l’opposition chinoise à des sanctions contre l’Iran.

Par contre, la Russie a des visées au Moyen-Orient, principalement en Iran, mais aussi en Asie Centrale. Elle aimerait reconquérir ses ex-républiques soviétiques, et l’Organisation de Coopération de Shanghaï, lui permet d’entretenir des relations privilégiées avec ses « ex », principalement pour les neutraliser. Par exemple la Russie s’est alliée à l’Iran (qui n’est pas membre de l’OCS [3]) pour mettre ensemble un veto à la construction d’un pipeline subaquatique dans la Caspienne afin d’empêcher une liaison directe entre le Kazakhstan et la Turquie via l’Azerbaïdjan. Dans ce cas précis, les visées Russes ne dérangent pas les Chinois qui peuvent ainsi avoir droit au pétrole Kazakh. Mais une alliance entre l’Iran et la Russie ne sera pas du goût des Chinois car elle va éclipser l’OCS. L’Iran, les ex-républiques soviétiques musulmanes et pétrolières et la Russie pourraient former une « méga OPEP » et menacer sérieusement l’expansion industrielle chinoise et relayer ce grand pays derrière la Russie.

Dans les années 70, les Américains ont mis au point l’Arc de la Crise (Crescent of Crisis) pour utiliser l’islamisme pour exploser la Russie. Cette dernière a retenu la leçon et semble vouloir utiliser le même dispositif gagnant pour neutraliser les Chinois par une diplomatie du Containment (endiguement) à l’Est et par une politique de Rollback (refoulement) vers l’Ouest pour chasser les Américains du Moyen-Orient. C’est plutôt audacieux d’utiliser les deux mêmes armes utilisées par les Américains contre elle pour un retournement spectaculaire de l’équilibre des forces. Dans cette « Fuite en Avant » que nous avons exposée dans notre précédent article*, l’Iran des mollahs et sa politique de provocation permanente jouent le rôle d’un joker, d’un va-tout  : c’est là le point qui oppose diamétralement les Chinois aux Russes ! .

Les uns cherchent à modérer le débat et les autres préfèrent amplifier la Crise. Jean-Jacques Mével (du Figaro) a décrit avec justesse la demande chinoise qui montre l’approche apaisante de cet Etat qui veut continuer à séduire ses alliés de l’OCS et se poser en alter ego asiatique du géant américain [4] , mais à Shanghaï, Vladimir Poutine est venu pour « rouler les mécaniques », sur le territoire de son « allié » Chinois. Il s’est comporté en Patron chez le fondateur de l’OCS.

Certes, les deux protagonistes ont appelé l’Iran à reprendre les négociations, mais il y a un océan de nuance entre la demande chinoise et les déclarations de Poutine. On ne peut reprocher à Poutine d’avoir agi de manière irréfléchie : en s’alliant à l’Iran et en l’utilisant, la Russie doit calquer son comportement sur son poulain. L’Iran joue l’ambiguïté, la Russie en fait autant. À l’inverse, le régime des mollahs s’adapte aux demandes Russes et accepte de négocier. La Russie et l’Iran avancent main dans la main, mais chacun redoute un coup bas de l’autre. Nous vivons des moments historiques.

Malheureusement, les Européens semblent enthousiastes par rapport aux déclarations de Ahmadinejad sur une éventuelle reprise des négociations. Certains estiment qu’il serait indiqué de trouver une « solution créative », qui autoriserait les mollahs à poursuivre leurs activités nucléaires au nom d’un supposé droit garanti par le Traité de non-prolifération. Une « solution créative » pourrait, selon certains diplomates, passer par le droit laissé à l’Iran de faire tourner des centrifugeuses à vide, sans être alimentés en gaz d’uranium. Ainsi les Iraniens poursuivraient leurs recherches, mais sans enrichir. Ce qui est tragique c’est la confrontation des solutions de Professeur Tournesol à une diplomatie Russe, elle très créative et magistralement exécutée !

C’est Bob l’Eponge opposé à Kasparov.

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[1La réunion annuelle de l'Organisation de coopération de Shanghaï (OCS) - un forum régional rassemblant la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Tadjikistan, l'Ouzbékistan et le Kirgizstan - s'est tenue, jeudi 15 juin, dans la capitale économique du sud de la Chine. Outre l’Iran, l’Inde, la Mongolie et le Pakistan bénéficient en effet, eux aussi, d’un statut d’observateur et, cette année, le président afghan, Hamid Karzaï, dont le pays partage une courte frontière avec la Chine, était également invité à participer à la réunion de l’OCS. (Source : Le Monde)

[2Pour la stratégie énergétique de Pékin, l'Iran offre un double intérêt. Il est un Etat pétrolier aisément accessible. Et, surtout, sa position géographique ouvre sur l'Asie centrale. En 2004, les deux pays ont signé un accord aux termes duquel Pékin a acheté à Téhéran pour 70 milliards de dollars de gaz et de pétrole sur trente ans. Les Chinois participeront à l’exploitation des gisements de Yadavaran, près de la frontière avec l’Irak. Pékin espère s’associer à un projet d’oléoduc traversant l’Iran jusqu’à la mer Caspienne, où se nouerait la connexion avec un autre oléoduc reliant le Kazakhstan à la Chine occidentale. La participation chinoise à la construction du port en eau profonde de Gwadur (au Pakistan), très proche de la frontière avec l'Iran, s'inscrit dans ce contexte. Aux côtés de l'Angola et de l'Arabie saoudite, l'Iran est devenu l'un des fournisseurs majeurs de la Chine : il lui livre 13,6 % de ses importations. (Source : Le Monde)

[3L’adhésion de l’Iran à l’OCS : La Chine ne ménage pas l'Iran | (lien)

[4Chine/USA : L'ère de l'interdépendance (Le Monde) | (lien)