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La petite entreprise de Monsieur Alexandre (Adler)
09.05.2006

Alexandre Adler est dans une impasse. Cet homme affable qui se rend souvent en Iran et se félicitait dans les cercles privés d’être l’ami personnel des représentants des mollahs à Paris avait écrit un livre dans lequel il professait sa foi en l’émergence de deux démocraties islamiques en Turquie et en Iran.



Dans « Rendez-vous avec l'Islam », Adler écrivait par exemple que l’identité persane était forgée par l’Islam. Un des grands défauts des Iraniens est qu’ils ne lisent pas assez les livres d’Adler et laissent dire de telles inepties. Car l’Islam a déferlé sur l’Iran, faisant tout pour détruire l’identité perse à coups de sabre, de décapitations, d’exils et de conversions forcées.

Dans son dernier article dans le Figaro (Machiavel en Iran -La chronique du 4 mai 2006), Adler persiste à défendre le cas Iranien et le cas Turque, défendant même ce qu’il appelle, à grand renfort d’exemples, la nucléarisation nationaliste de l’Iran.

Cette approche ne nous inquiète pas car elle est plutôt du genre intéressé : Adler défend son livre et son analyse aujourd’hui perturbé par l’arrivée d’Ahmadinejad. Notre ex-communiste viré néo-quelque chose s’est constitué depuis quelques années comme le lobbyiste n°1 de l’entrée de la Turquie en Europe et de l’extension des relations économiques avec le régime des mollahs. Tout ce qu’il écrit désormais est placé sous le signe de la réanimation de ses théories qui battent de l’aile. Alexandre Adler doit sauver son EURL de lobbying pro-islamisme. Islamisme parce qu’il s’agit de l’islam au pouvoir, de partis islamiques et de démocratie basée sur une confession religieuse ou la charia.

Le volet Turque de son entreprise n’est pas mort et Adler doit en toute occasion revenir à la charge pour défendre ce livre dont les propos sont démentis par les évènements. En Iran, le régime a sélectionné les candidats de manière à placer à la présidence un homme ayant pour fonction de rompre les négociations nucléaires avec l’Europe. Le régime des mollahs a utilisé l’ami Adler. Les mollahs utilisaient son incorrigible penchant pour les explications alambiquées et Adler s’amusait à imaginer « l’après Khatami » par a+b- chiisme au carré + racine carré de l’identité perse. Et le génial Adler, le chouchou des media françaises s’était aventuré à voire incarner cet avenir placé sous le signe du turban par un certain Rohani, le souriant mollah responsable des négociations dilatoires avec l’Europe.

Aujourd’hui, tout le monde sauf Adler a compris que les mollahs voulaient gagner du temps et pire encore, Rohani est allé à la confesse pour avouer que le régime islamique de Téhéran avait profité de ces négociations et du Dialogue et surtout du paravent des réformes pour duper l’Europe et la placer devant le fait accompli. Cette nouvelle qui a fait le tour de la planète Europe est tombée dans les oubliettes de la presse française, et le vigilant et génial Adler a discrètement tourné la page de Khatami, le traître. Mais, dure réalité de la vie, il faut bien vivre et gagner sa vie et comment faire quand son dernier livre est un fiasco ?

Adler a choisi le courage ! Quitte à paraître « décalé » ! Afin de rester conforme à son dernier livre sur l’Islam, Alexandre défend ses théorie selon lesquelles de la Turquie d’Erdogan est une droite moderne et pro-européenne, et l’Iran doit espérer le retour de Khatami !

Pourquoi ? parce que Khatami est le digne héritier de Mossadegh, lui-même, un démocrate. L’idée est d’autant plus séduisante que les intellectuels français ont une grande admiration pour Mossadegh, admiration qui tire son origine de l’opposition de ce dernier au Shah. Pour tous, le Shah fut l’ennemi et celui qui a combattu l’ennemi ne pouvait être que le meilleur parmi les meilleurs. Cette vision est d’autant plus fausse que Mossadegh n’a jamais été un moderne pro-occidental et n’a jamais entrepris aucune réforme en Iran. Mossadegh était un aristocrate Qajar, du nom de la dynastie qui précédait les Pahlavi et son hostilité à l’égard du Shah avait des motivations familiales et non politiques.

Il y a des certitudes qui ont la peau dure. Par exemple, Adler traite les Pahlavi de pronazis, pour renforcer le trait, diaboliser les Pahlavi et encenser Mossadegh. Pourtant, plus de 30,000 juifs européens ont été sauvés par les ambassades de la monarchie iranienne dans le tourment du nazisme et jamais les Pahlavi n’ont éprouvé le besoin de faire de la publicité autour de cet acte. Ils ont fait de même à l’avènement de Nasser qui chassa les juifs égyptiens. L’Iran a aussi accueilli des juifs irakiens en fuite, et là encore la monarchie iranienne s’est montrée réticente à tirer profit de ces gestes humanitaires accomplis. Et elle a agi sans attendre de contrepartie ou de médaille d’estime des pays défenseurs des droits de l’homme.

Adler connaît ces détails, mais il force les traits parce qu’il connaît aussi la vérité sur les Qajar et leur comportement envers les juifs. Le plus « charismatique » des shahs (roi) Qajar, Nasser-Eddin Shah, eu l’idée de fabriquer une étoile de David de couleur jaune à coudre sur les vêtements des juifs les jours de pluie afin que ces derniers ne souillent pas les musulmans en les frôlant quand ils se déplaçaient en ville. Mossadegh, un Qajar hostile aux Pahlavi, n’a jamais à aucun moment exprimé des pensées en faveur les juifs, non pas qu’il était raciste : il était indifférent. Les juifs n’avaient aucun poids politique et ne pouvaient aider sa carrière. Les Pahlavi auraient pu également ignoré les juifs ou livrer les juifs iraniens aux allemands, ils ont fait le contraire alors que les juifs n’avaient aucun poids politique en Iran. La monarchie des Qajar était très influencée par le clergé et le roi cédait souvent (comme dans cas de l’étoile), incapable de contrer les mollahs. Le seul moment de l’histoire iranienne où le mollah a dû battre en retraite fut sous les Pahlavi qui entreprirent de modifier la structure sociale de l’Iran par l’émancipation de la femme et la création d’une classe moyenne laïque.

Les Pahlavi ont entamé leurs efforts vers la modernité malgré l’hostilité unanime du Parlement qui était à l’époque sous l’emprise du clergé et des grands propriétaires terriens (les seigneurs et les Qajar) hostiles à toute modernité, à tous changements. La constitution iranienne de 1906 prévoyait la présence légale d’un Conseil de Théologiens, composé de 5 à 20 experts (mollahs), qui devait veiller à la conformité des lois avec la sacro-sainte Charia Islamique. [1]

Si les Pahlavi ont modernisé le pays et promu la culture de la modernité, c’est bien parce qu’ils n’appliquaient pas la constitution à la lettre ! Mais à aucun moment Mossadegh le démocrate n’a soutenu cet effort, cette envie de modernité. Il a passé un accord avec les opposants à la dynastie Pahlavi pour venger les Qajar, il a pactisé avec les communistes pour prendre le pouvoir, il a comploté avec les mollahs pour essayer de préserver l’équilibre et sa place :

- il n’avait aucun sens éthique et il jouait au poker avec le destin d’un peuple. Il aurait été le premier sacrifié si l’armée rouge aurait débarqué en Iran à la demande des Communistes de Toudeh. A ce moment-là, l’Iran serait devenu le champs de bataille de la guerre pour le pétrole du Golfe Persique. Un Vietnam. Et le pays aurait été entièrement rasé à cause de la folie vengeresse d’un seul homme. S’il avait réussi à contenir les staliniens, ce qui semble très improbable, il aurait gouverné avec les mollahs, en institutionnalisant les 5 mollahs du Parlement et l’Iran serait devenu une république islamique en 1953, ou encore une monarchie Qajar restaurée soumise à la loi des mollahs.

Mossadegh n’avait vraiment aucun scrupule et encore moins d’éthique contrairement à l’affirmation péremptoire d’Alexandre Adler. Charismatique, oui parce qu’il fut un tribun hors pair et un démagogue xénophobe. Ce Poujade aristo et populo est idolâtré par le régime des mollahs qui utilise ses méthodes car les discours de Mossadegh flattaient l’égo de la rue et les mollahs aimeraient en faire autant. Pourtant, nous ne sommes pas en 1951 et malgré ses discours, le vieillard a fini par effrayer le petit peuple qui l’avait soutenu. Les défilés des rouges dans rues, la formation des groupes d’assaut qui terrorisaient les commerçants, les bastonnades, la répression populiste des futurs gardes rouges, le changement des noms des rues pour saluer l’arrivée des héros rouges et la crise économique due à la géniale politique nationaliste de Mossadegh ont eu raison de sa popularité. Mossadegh dura 2 ans, or les mollahs utilisent ses filons depuis 27 ans. L’Iran vit depuis 27 ans en état de crise, de répressions, de guerre et de pauvreté. Aujourd’hui, le peuple regrette le Chah, pas Mossadegh.

Et ce sont les partisans de Khatami, véritables héritiers de Mossadegh, (comme l’a si bien compris Adler) qui ont ouvert les yeux des Iraniens. Ce sont les mollahs qui ont donné le nom de Mossadegh et des compagnons aux rues, et c’est Khatami et ses mensonges qui ont réhabilité le Shah et condamné à titre posthume les manoeuvres politiciennes de Mossadegh. Certes, il aura toujours ses partisans, mais le tabou a été brisé.

On peut aujourd’hui mettre en doute Mossadegh, ses méthodes très politiciennes d’alliances avec les deux forces noires de l’Iran : les staliniens et les mollahs. On peut désormais se permettre de juger son programme de nationalisation qui fut mené pour flatter son propre égo et créer sa propre légende.

On peut désormais critiquer cette nationalisation qui cessa d’être une négociation réfléchie et a finalement produit l’effet inverse. La rupture des relations avec les Britanniques a isolé l’Iran, l’a ruiné et l’a forcé à signer pour encore 25 ans avec un consortium pétrolier.

Aujourd’hui, On peut enfin se permettre de juger cet homme qui a fallacieusement occupé les esprits et empêché l’émergence d’une classe politique qui refusait de gouverner à coup de slogans ou de politiques nationalistes et populistes. C’est le fantôme de Mossadegh et les efforts de ses dauphins qui ont dévalorisé la modernisation du chah qui n’avait pas le temps pour les slogans à deux sous, ni la volonté de pousser à la xénophobie populiste.

Pour une fois, nous sommes d’accord avec Adler, même s’il a écrit son dernier article pour réscussiter son livre sur la modernité d’Erdogan et la Turquie européenne. Adler a raison : Khatami est le digne héritier de Mossadegh. Et c’est là le dernier échec des mollahs, ils sont arrivés au pouvoir avec l’aide des partisans de Mossadegh et ils partiront se perdre dans les oubliettes de l’histoire en emportant avec eux la statue du Commandeur de leur idole…

WWW.IRAN-RESIST.ORG

Pour en savoir + sur Adler :
- Alexandre Adler : Alexandre le bien informé ! (06.03.2004)

[1Le Regard Mutilé | Daryush Shayegan – éd. Albin Michel – 1989 (Amazon) | Page 228.