Matinée shopping. Puisqu’en cette veille de Norouz - le Nouvel an persan, la fièvre acheteuse a saisi Téhéran, je décide d’aller moi aussi faire mes emplettes. Pas dans une de ces galeries commerciales à l’opulence apatride des quartiers nord. Non : cap sur le passage Mahestan, supermarché de la piété révolutionnaire. Sur deux niveaux, une enfilade de boutiques que fréquentent les bassiji, ces miliciens dévoués corps et âmes au Guide suprême Ali Khameneï, et qui fournirent l’an dernier à Mahmoud Ahmadinejad des bataillons entiers d’agents électoraux au zèle ravageur.

A vrai dire, la clientèle m’attire au moins autant que les étals. Il n’est jamais facile, pour un ghabarnegar – un journaliste – présumé infidèle, de sonder l’âme de volontaires gavés de mises en garde contre l’Occident, foyer de la perversion et base arrière d’une sournoise « invasion culturelle ». Mais, là encore, la méfiance cède très vite le pas à un mélange de courtoisie persane et d’envie de convaincre. Mortaza a tout du bassij : la barbe, la longue chemise noire flottante et le regard fuyant dès qu’une femme apparaît. Son échoppe très ordonnée propose certes des textes sacrés, mais aussi et surtout des CD ou des DVD de psalmistes fervents, que diffuse en boucle un téléviseur installé sur le seuil. La star du moment ? Abdulreza Helali. Sa voix gutturale et ses monologues - moitié complaintes, moitié harangues - envoûtent la jeune garde. Sur les conseils de Mortaza, je jette mon dévolu sur son dernier opus, intitulé Sham-e-Ghariban, référence à l’ultime lamentation du récit de l’agonie de l’imam Hussein, figure vénérée du chiisme. Tout à côté, on déniche entre les portraits de l’imam Khomeyni et les photos de cadavres ensanglantés de martyrs de la guerre Irak-Iran, des posters à la gloire d’Ahmadinejad. Voici le président tour à tour en prière au mausolée de l’imam défunt, en conversation avec le Guide Ali Khameneï, à New York au côté du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, assis à même le sol le temps d’un repas frugal…

La séance de lèche-vitrines se termine chez Reza. Lui vend des chapelets, des Corans, des recueils de prières, des keffieh et des bandeaux frontaux. Rouges pour invoquer Hussein ; verts s’il s’agit d’honorer la mémoire de Zahra, la fille du Prophète. On trouve aussi chez ce quinquagénaire placide des mohr-e-namaz, ces rondelles de pierre ou de terre cuite sur lesquelles les chiites posent le front à l’heure de la prière. Au moment où je prends congé, Reza m’en tend une. Pas question de refuser. Et moins encore de payer : cadeau de la maison.

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