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7 jours en Iran : 4-Trois Iran pour le prix d'un
26.03.2006

Vincent Hugeux, l’envoyé spécial de l’Express en Iran, a eu l’idée de raconter la vie en Iran sous la forme de lettres écrites au cours de son périple. Lettre n°4 : Les damnés...



En Iran comme ailleurs, le hasard, qui n’existe pas, fait pourtant bien les choses. Il s’échine à vous convaincre au gré des rencontres que vibre ici une société éclatée, polyphonique, irréductible aux stéréotypes.

Prenez Ahmad et Javad. L’un est imprimeur, l’autre est déprimé. Le premier soigne son profil de self made man épicurien. Il aime les blagues un peu lestes et bombarde d’éloges égrillards tout ce qui porte tchador. Curieux, ce quinqua prospère soumet par ailleurs le reporter de passage à l’épreuve classique de l’arroseur arrosé : trente minutes durant, j’ai eu droit à un feu nourri de questions sur la France, de Gaulle, Chirac, Le Pen, le visa Schengen, l’immigration choisie, les manifs étudiantes et le Contrat première embauche. Il faut dire que la presse locale donne parfois de l’Hexagone l’image d’un champ de bataille à feu et à sang. Au point que j’en viens à me demander s’il ne serait pas plus sage de demander l’asile politique à la République islamique que de rentrer au pays...

Une certitude : Ahmad convertirait volontiers le mandat du président Mahmoud Ahmadinejad en CPE expéditif. « Mais pourquoi diable la presse étrangère s’intéresse-t-elle tant à ce gars-là ? Vous n’avez rien de mieux à faire ? » Dans l’immédiat, non. J’ai bien tenté de l’en convaincre. Peine perdue.

Javad vit comme Ahmad à Téhéran, mais plus au sud. Donc sur une autre planète. Juché sur sa moto-taxi, qu’il conduit de son seul bras valide, le retraité usé attend ses hypothétiques passagers à la sortie de la station de métro Shoush. Ici commence le royaume des mostazafin - les déshérités - ces laissés-pour-compte à qui l’élu doit en partie sa victoire. Javad a voté Ahmadinejad et ne le regrette pas. « Ma pension a déjà augmenté de 14 000 tomans (14 euros). Et il s’est engagé à faire mieux. » Même refrain dans la maison de thé voisine, où l’on vient siroter un breuvage pâle et brûlant en fumant le narguilé. Chômeur, Ali, 19 ans, confesse qu’il veut croire aux promesses de prêts immobiliers aidés. Puis il se lève, règle mon tchaï avant que j’ai pu dégainer un billet à l’effigie de l’imam Khomeiny, avant de s’éclipser.

Peu avant cette brève plongée dans l’Iran des démunis, j’avais retrouvé, dans les locaux de la revue trimestrielle Goft-o-Gou (Dialogue), Morad Saghafi, croisé ici voilà dix ans et que, hélas, je n’avais guère revu depuis. Morad ou l’incarnation d’un troisième Iran, celui des intellos ouverts et libres, réfractaires au manichéisme patriotique de rigueur. « J’ai l’impression que le temps nous est compté. Alors, dans le prochain numéro, on dira tout ce qui nous reste à dire. » Au fond, un reportage a ceci de commun avec un numéro de Goft-o-Gou qu’il faut toujours l’écrire comme si c’était le dernier.

WWW.IRAN-RESIST.ORG

En décembre 2005, Vincent Hugeux (grand reporter au service Monde et président de la Société des rédacteurs de L'Express) a reçu le trophée Presse écrite du 12e Prix Bayeux des Correspondants de guerre. Hugeux a été distingué pour son reportage « Ouganda, l'enfance massacrée ».

Le Prix Bayeux vise à rendre hommage aux reporters qui exercent leur métier dans des conditions parfois périlleuses pour assurer une information libre et démocratique.


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