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Wolton : L’impossible paix avec les islamistes
30.01.2006 [Le Figaro -30.01.2006]

« Faute d’un compromis possible, le monde occidental doit continuer à vivre dans un état de guerre contre un adversaire protéiforme et offensi »
- Par Thierry Wolton, Essayiste, auteur de Quatrième Guerre mondiale (Grasset).
- [Le Figaro -30 janvier 2006]



La victoire du Hamas aux élections palestiniennes a galvanisé les islamistes dans le monde rendant les propositions de trêve de Ben Laden plus superfétatoires encore, si tant est qu’il ait jamais fallu les prendre au sérieux.
Admettons en effet que les troupes américaines se retirent d’Afghanistan, d’Irak et d’Arabie saoudite, admettons encore qu’un Etat palestinien souverain soit créé, comme le réclament les islamistes, cela suffirait-il à les contenter au point d’envisager avec eux la fin des hostilités ? Certainement pas.

Ayman al-Zawahiri, le numéro deux d’al-Qaida, a dit que les terres de l’islam doivent s’étendre du Turkistan oriental à l’Andalousie. Dans l’esprit de cet idéologue, la reconstruction de l’oumma, la communauté des musulmans, se fera sur les ruines d’une quarantaine d’Etats constitués, et sur la destruction d’Israël réclamé ouvertement par le Hamas, ce qui ne peut être négocié. Faute d’un compromis possible, le monde occidental doit continuer à vivre dans un état de guerre quasi permanent contre un adversaire mal défini, protéiforme et offensif.

Les coups portés aux terroristes depuis le 11 Septembre ont néanmoins montré leur vulnérabilité. S’il paraît peu réaliste d’espérer éliminer définitivement leur menace, on peut tout au moins escompter la juguler. Pour atteindre cet objectif, il faut tabler sur une modification des conditions qui ont permis à l’islamisme de s’épanouir autant que sur une victoire militaire. Autrement dit, la modernisation des pays musulmans, sous l’influence de la mondialisation occidentale, devrait permettre de couper l’herbe sous les pieds des terroristes. Mais est-ce seulement possible ?

La modernité est toujours synonyme de normes, de valeurs et de mode de vie imposés par la civilisation dominante aux autres. La Grèce, Rome, l’islam ou, ailleurs dans le monde, l’Inde et la Chine l’ont fait en leur temps.

De nos jours, la civilisation occidentale moderne est la première à englober la planète grâce aux moyens de communications existants. Les islamistes combattent cette mondialisation par opposition à deux valeurs de l’héritage occidental incompatibles avec leur foi : le rôle de la religion dans la société et le respect des droits de l’homme. Sur ces questions éthiques, les islamistes, mais aussi les tenants de l’islam classique, non politisé, peuvent difficilement céder sous peine de voir remis en cause les fondements de leur croyance et le mode de vie qui en découle, les deux étant imbriqués en terre musulmane. D’où la violence de l’affrontement.

La chrétienté et l’islam n’ont pas la même conception du rôle de la religion, de sa place dans la société, de son statut par rapport à l’Etat. Le christianisme s’est répandu comme la foi des opprimés jusqu’au moment où l’empereur romain Constantin, César lui-même, est devenu chrétien en l’an 313, entamant alors le processus qui allait submerger son empire. Mahomet, fondateur de l’islam, a été son propre Constantin dans la mesure où il a créé son Etat et son empire de son vivant. Si les chrétiens ont longtemps dû choisir entre Dieu et César, ce dilemme n’a jamais occupé l’islam, puisqu’il n’y a pas de César mais seulement un Dieu dans l’Etat islamique universel. Il en découle un rapport différent à la religion.

Il a toutefois fallu attendre la Révolution française pour que la séparation de l’Eglise et de l’Etat devienne effective dans les pays chrétiens, ce qui a ouvert la perspective d’une société dans laquelle chaque individu peut vivre sa propre doctrine religieuse et spirituelle librement. Une perspective insupportable pour les tenants de l’islamisme arc-boutés sur les textes sacrés. Ces valeurs apportées par la mondialisation occidentale risquent d’emporter ce totalitarisme religieux et, avec lui, le pouvoir de ses doctrinaires. De cela, les islamistes ont peur.

Mais il y a plus grave encore pour eux : en vertu de la charia et de la tradition, trois catégories de personnes ne bénéficient pas du principe musulman d’égalité juridique et religieuse : les incroyants, les esclaves et les femmes. Ces dernières ont toujours été les plus mal loties. Un esclave pouvait se faire émanciper et un incroyant se convertir, mais la femme ne pouvait pas, ne peut toujours pas changer de statut, de condition, elle est condamnée à rester ce qu’elle est, comme l’a fixé pour l’éternité la parole de Dieu dans le Coran.

Même dans les pays musulmans où la charia ne fait pas la loi, la femme est maintenue dans un minorat à vie à cause de la polygamie et de la répudiation qui frappe celles qui ne se conformeraient pas aux exigences de leur époux. Aux yeux des islamistes, l’émancipation des femmes est une incitation à l’immoralité, à la débauche, elle est surtout vécue comme un coup mortel porté à la famille, un fondement de la société islamique. Probablement s’agit-il là d’un élément clef pour comprendre la violence du combat des islamistes contre l’Occident et ses valeurs.

La sauvegarde du patriarcat est au coeur du malaise de l’islam, et les islamistes instrumentalisent ce malaise. Il y a antinomie entre le patriarcat et l’Etat moderne. Le patriarcat juxtapose l’ordre naturel et l’ordre politique, c’est-à-dire familial et tribal en consacrant, dans les deux, la suprématie du pouvoir des hommes.

L’Etat moderne sépare ces deux ordres, les dissout même en distinguant la sphère publique, réservée à l’Etat, de la sphère privée, familiale, selon le même principe que la séparation avec l’Église. Il s’agit d’une rupture dans l’unité du monde musulman où les domaines public, privé, familial, doivent être placés sous la seule et unique loi de Dieu. L’obsession des islamistes, dès lors, est de restaurer l’ordre familial et l’ordre social entre hommes et femmes.

La bataille pour le voile dans l’immigration en est la manifestation la plus éclatante. En proposant un rôle différent de la femme, en bouleversant l’équilibre entre les sexes, la modernité met en danger ce pouvoir masculin. Dans l’islamisme, ce sont les questions de l’homme, de son statut, de son pouvoir, qui sont centrales. Le recours au terrorisme se comprend dans cette perspective. Le martyre des islamistes les grandit aux yeux de « leurs » femmes – mères, soeurs, épouses –, pour l’éternité. Leur sacrifice sert à renforcer le pouvoir des hommes, même post mortem. Leur rage est à la mesure de la peur qu’ils éprouvent, de la conscience qu’ils ont d’être en train de jouer leur va-tout pour un monde en voie de disparition.

Ce désespoir lance les islamistes dans des actions terroristes nihilistes qui n’ont pas d’autres objets que d’assouvir leur haine d’une modernité qui les condamne. C’est une lutte à mort où la paix n’a pas sa place.


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