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Islamophobie (Vue d’Iran)
20.11.2003 « Les révolutions éthiques sont les plus prometteuses ». Michel Foucault

Niloufar A. est une figure emblématique de la résistance iranienne. Rien ne la met plus en colère que la fascination de certains penseurs et militants français pour l’aspect « révolutionnaire » de l’islamisme. En reprenant le terme « islamophobie » ou en défendant le voile, ils montrent qu’ils n’ont tiré aucune leçon de la révolution iranienne..



Islamophobie ?

Y’a de quoi rire jaune surtout si on est origniaire d’Iran, du plus tolérant des pays musulman qui a sombré dans les abîmes de l’islamisme il y a un quart de siècle dans un contexte bien particulier. La France a joué un rôle déterminant dans la victoire de cette forme aliénante du pouvoir non pas uniquement parce qu’elle a donné refuge au Bourreau Khomeyni mais parce que son élite à été l’une des première à s’extasier de l’émergence de « cette nouveauté », à s’enthousiasmer pour la révolution de Khomeyni. Michel Foucault qualifiera même les premiers jours de la République Islamique de « très excitant, très étrange, fou » !

« A l’aurore de l’histoire, la Perse a inventé l’Etat et elle en a confié les recettes à l’Islam : ses administrateurs ont servi de cadres au Calife. Mais de ce même Islam, elle a fait dériver une religion qui a donné à son peuple des ressources indéfinies pour résister au pouvoir de l’Etat. Dans cette volonté d’un gouvernement islamique, faut-il voir une réconciliation, une contradiction, ou le seuil d’une nouveauté ? (...) J’entends déjà les Français qui rient. Mais je sais qu’ils ont tort » (« A quoi rêvent les Iraniens ? » Le Nouvel Observateur, n° 726, 9 octobre 1978. p. 48-49).

Deux mois après le triomphe de la révolution islamique, le philosophe français Michel Foucault, dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre Mahdi Bazargan, écrivait déjà : « Impossible, disent aujourd’hui certains qui estiment en savoir long sur les sociétés islamiques ou sur la nature de toute religion. Je serai beaucoup plus modeste qu’eux, ne voyant pas au nom de quelle universalité on empêcherait les musulmans de chercher leur avenir dans un Islam dont ils auront à former, de leurs mains, le visage nouveau. Dans l’expression "gouvernement islamique", pourquoi jeter d’emblée la suspicion sur l’adjectif "islamique" ? Le mot ‘gouvernement’ suffit, à lui seul, à éveiller la vigilance. »

Dès lors, entendant parler de l’Islamophobie, chaque iranien exilé en France éprouve une certaine horreur à laquelle se mêle une sourde jouissance : il se dit « qui sème le vent récolte la tempête », car nombreuses ont été les faiblesses et des complaisances, à gauche comme à droite envers la République Islamique depuis son apogée jusqu’à ... aujourd’hui.

Dialogue constructif ou hyppocrisie complaisante ?

L’épuration sanglante des iraniens n’a pas « trop » choqué la classe politique française en 1979 : toute révolution, nous disait-on, dérape un peu. La prise d’otages de l’Ambassade américaine ? On a cru alors que l’anti-américanisme affiché des mollahs et autres « étudiants islamiques de Qom » pouvait servir les intérêts français en Iran. Cette idée s’est avérée particulièrement juste et les relations commerciales entre l’Iran et la France n’ont eu de cesse de s’améliorer depuis le début de la Guerre Iran-Irak pour aboutir de nos jours à un tel niveau d’excellence que le gouvernement français serait même prêt à fournir l’industrie nucléaire des mollahs !

Durant la Guerre Iran-Irak, la France a ramassé le pactole par des ventes d’armes via le Mozambique. Cette amitié s’est renforcée après cette guerre qui fit un million de morts et autant d’invalides et aujourd’hui elle se pare de drôles de nouveaux habits. On nous parle du Dialogue Critique ou Dialogue Constructif mais aussi du Dialogue entre les Civilisations, en apparence comme si le but de ces relations n’étaient pas de maintenir ce régime qui brade les richesses de l’Iran mais d’améliorer le quotidien des iraniens et par le Dialogue Critique engager la République Islamique sur une voie démocratique. Par conséquant, la diplomatie française recommande la plus grande souplesse vis-à-vis de « l’Iran » pour encourager le mouvement qui doit aboutir à une démocratie islamique ! Quelle joie !

Ce traitement hypocrithe du gouvernement français pour contourner le non respect des droits de l’homme par la République Islamique ne dupe pas les iraniens qui vivent une réalité abrupte dans un pays au bord de l’asphyxie économique, sociale et politique. Ce double langage profite à la République Islamique mais aussi aux intégristes français, ils n’auront qu’à jouer le jeu que leur propose la diplomatie française : participer à la vie publique sans avoir à se justifier de leur laïcité puisque depuis le Diaoloque Constructif, il apparaît qu’une démocratie peut être « spirituelle ». C’est donc la raison pour laquelle les iraniens exilés en France portent ce regard ironique sur ce qu’on appelle l’islamophobie et chuchotent « qui sème le vent récolte la tempête ». Peut-être s’imaginent-ils que la montée de l’intégrisme musulman et ces conséquences finiront par réveiller les français et par leur faire prendre conscience que le laxisme de la diplomatie française envers la République Islamique a aussi ses effets négatifs en France. On ne peut à la fois se prétendre laïc et croire en la possibilité d’une démocratie islamique. Le dilemme.

Le Diaoloque Constructif donne un autre atout à l’intégrisme musulman. L’islam politique peut prétendre sans trop de frais qu’il peut contribuer à enrichir le débat ... Un Parti Politique Islamique, quelques députés et l’affaire du Foulard ne fera plus ricaner personne, même l’iranien blasé de tout. Et ce n’est pas faire preuve d’animosité envers les musulmans que d’imaginer la montée d’une forme d’un totalitarisme encore plus puissant et plus envahissant que le nazisme ou la dictature du prolétariat !

Les peurs et les phobies sont les expressions légitimes de chacun, et il est aux politiques d’être sensibles aux attentes ou aux craintes des citoyens afin de ne pas laisser le champs libre à ceux qui tirent aisément profit de ces réactions. Les démocraties ne peuvent compter sur les mêmes atouts que les états totalitaires. Le but d’une démocratie, contrairement aux totalitarismes n’est pas de façonner un homme parfaitement conforme à un modèle politique unique et un tissu social compact mais de créer les conditions pour que les uns et les autres puissent vivre ensemble, aussi différents, disparates et imparfaits qu’ils soient. La cohésion d’une démocratie est assurée par la confiance que chacun lui accorde. Son autorité exercée par les trois pouvoirs est avant tout une autorité morale.

Telle est la vertu démocratique qui remplace les notions éthiques du bien et du mal. Evidement, ce que visent les islamistes est d’entacher l’autorité morale de votre démocratie afin de discréditer tous les composants du modèle républicain et démocratique : ses lois, ses libertés, sa justice et les institutions qui veillent à son bon fonctionnement pour le bien de tous.

Cette tactique est le résultat d’un constat d’échec : ils se savent battus dans un débat de fond car les lois et le mode de vie qu’ils proposent, sont en contradiction avec la déclaration universelle des droits de l’homme. Puisqu’ils ne peuvent la combattre, ils l’utilisent : les revendications des mouvements ou associations islamiques se multiplient, chacun évoque les libertés individuelles pour tirer profit des situations où la loi n’est pas définie avec précision. C’est une guerre d’usure et ils espèrent prendre à défauts l’autorité morale de la république : Ils savent pertinemment que les dérapages seront inévitables ... D’un côté, il y a ceux pour qui c’est une guerre et de l’autre, il y a ceux qui pour sauvegarder la paix sociale évitent de s’avouer la gravité de la situation. A chaque provocation, la démocratie recule d’un pas. Les intégristes harcèlent le pouvoir élu et les élus ne réagissent pas. Et dans cette tâche de déstabilisation, « les terroristes » se font aider par l’ensemble des forces politiques marginales car chacun y trouve son compte. Tous unis n’ont qu’un seul slogan, « Halte au Fascisme ! », de quoi clouer le bec aux empêcheurs de tourner en rond !

N’en-doutez pas ! Nous aussi sommes, anti-fascistes mais aussi anti-bolcheviques, anti-soviétiques, anti-khmers rouges, anti-castristes et biensûr anti-républiques islamiques.

Le soutien des militants des forces politiques marginales relève d’un désir de réhabilitation sentimentale de la dictature du prolétariat. Puisque tous contestent l’autorité de l’état, tous mettent un savoir faire incomparable au service d’un nouveau allié fort encombrant qui finira par les broyer comme il le fit en Iran après la révolution où ces mêmes forces furent encore une fois ses alliés. Derrière le cri de Halte au Fascisme se dessine le trame d’une alliance qui loin de relancer la révolution marxiste profitera surtout aux intégristes fondamentalistes de tendance « Pur Taliban ». Tous dénoncent l’islamophobie des autorités alors même qu’aucune législation n’est prononcée sur les cas litigieux et que partout tous les élus, les journalistes et même l’opinion persistent à vouloir trouver une entente cordiale pour apaiser une situation jugée préoccupante mais la plus petite objection n’est tolérée et chacun se trouve parfois à plaindre ces « soi-disant » victimes de cette « soi-disant » ignominie qu’est l’islamophobie

Le piège de « l’islamophobie »

Le couple islam/islamophobie se renvoie au couple judaïsme/judéophobie. Peut être est-il nécessaire de donner l’exemple dans les média et de rectifier ce glissement sémantique et d’évoquer l’antisémitisme et non pas la judéophobie : ce qui est condamnable et doit l’être très sévèrement, ce sont les propos ou faits incitant à la haine (raciale ou communautaire) et les propos ou actes discriminatoires et non pas un jugement négatif à l’égard d’une religion. On ne peut condamner quelqu’un parce qu’il exprime son inquiétude face aux dérives et aux excès d’une idéologie, d’un dogme ou d’une religion. L’islamophobie est un piège tendu par les stratèges intégristes, une bombe à retardement pour neutraliser les défenses du système démocratique : la liberté de l’expression et l’autorité morale de notre système sur ses citoyens.

Oui, il faut renforcer la loi sur la laïcité et rappeler à chacun que la démocratie est l’affaire de tous. Ce qui se passe en Iran doit vous faire réagir, dans ce pays aucune forme démocratique n’existe et l’état n’a plus aucune autorité morale sur le peuple qu’il dirige. Crier Halte au Fascisme est faire preuve d’une simplification fatale, avec une référence lointaine, alors que le danger est visible à tous en Iran [1]. Vous avec accès, sur le net, à une base de données immense, des documents vidéo et des photographies qui vous montrent la différence qu’il y a entre un totalitarisme islamique avec ses lois éternelles inspirées de la Charia et votre belle démocratie et votre code civil avec la possibilité extra-ordinaire de pouvoir le modifier pour l’adapter aux besoins contemporains. C’est là, la raison d’être du Sécularisme appelé Laïcité par les francophones. La démocratie est le domaine du « temporel » (séculier). C’est à vous et à vous seuls de chercher, de vous inquiéter, d’avoir peur et finalement de faire en sorte que l’objet de vos craintes ne puissent devenir réalité. C’est à vous de bâtir et rebâtir votre démocratie.

A vous, à nous, d’être vigilants !

L’islamophobie est un piège tendu par les nombreux ennemis de la démocratie pluraliste parlementaire fondée sur la déclaration « UNIVERSELLE » des droits de l’homme. L’islamophobie encourage les amalgames à seul but d’empoisonner le débat. A vous d’être vigilants.

Dans un environnement médiatique nivelé par le bas où le médiatique et les indices d’écoute ou de vente l’emportent sur le pédagogique, la confusion sert toujours les intérêts des populistes qui eux ne sont pas tenus de justifier leurs propos ou même de les comprendre, encore moins de respecter le principe de modération nécessaire à l’exercice démocratique du pouvoir.

« Avoir peur » n’est pas en soi un fait passible de poursuite. Ce sont les craintes post-nazisme qui ont conduit à l’établissement de la charte Universelle qui défendent les droits de tous . La déclaration universelle des droits de l’homme ne met pas en cause le nationalisme mais elle encourage un pacte social et politique privilégiant en premier lieu l’être humain, esquissant ses droits et ses devoirs les plus élémentaires. Ce pacte social qu’est la démocratie vise à guider les pas de l’homme dans les affaires qui le touchent durant sa vie, c’est pourquoi dans son essence il est séculier c’est à dire que son autorité concerne le temporaire et non le religieux qui s’abreuve de l’intemporel. Discuter du dosage de la laïcité, c’est remettre en cause l’universalité des droits élémentaires des hommes, c’est pourquoi dans ce domaine tout a valeur de symbole. L’affaire du foulard est emblématique des combats à venir. Nous iraniens avons pris le parti de RÉSISTER pour rétablir la démocratie suivant l’exemple des résistants français. En ces temps là aussi, certains avaient pris le parti de dialoguer, de trouver une entente...

En guise de conclusion, je me plais à reprendre cette belle citation de Pascal : « ne pouvant faire qu’il soit force d’obéir à la justice, on a fait qu’il soit juste d’obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien ». Pour continuer de jouir des libertés que nous garantit le système laïc en France, il est nécessaire de le prémunir contre les attaques qui viseraient à saper son autorité morale, ne fût-ce par l’attitude des petites filles souriantes et bien élevées.

Niloufar A.
étudiante iranienne, en exil

[1En Iran, il n’est pas improbable que se soient les iraniens musulmans, les croyants et les vertueux qui ne soient devenus islamophobes. Leur foi est sérieusement mise à l’épreuve et d’ailleurs selon les chiffres officiels de la république islamique, la fréquentation des mosquées est tombée en-dessous de 15% de la population !